Catégorie : French Articles

  • Le dernier rempart du Sahel dans la tourmente

    Le dernier rempart du Sahel dans la tourmente

    Traduit de l’anglais par Abdel-Aziz S. Ali Orou [coach.ali.translator@gmail.com]

    Résumé: Le pays que laisse aujourd’hui Idriss Déby peut en effet être décrit comme le dernier rempart de la zone sahélienne. Pour le meilleur ou pour le pire, le Tchad moderne se trouve être une ôasis de stabilité, entouré par les conflits les plus vicieux de l’Afrique contemporaine. Malgré le chaos qui a englouti tous les pays voisins et sous la direction de l’ancien président Idriss Déby, le Tchad a pu fournir des troupes à l’ONU et au G5 Sahel soutenu par la France, faisant ainsi des forces armées tchadiennes le gendarme du Sahel. La mort de Déby fait perdre à la France le bénéfice de son allié probablement le plus fidèle en Afrique. L’on pourrait se permettre d’émettre des doutes quant à l’aptitude du fils d’Idriss Déby à poursuivre l’œuvre de son père. Ce document fournira au lecteur une analyse historique de l’histoire du Tchad depuis 1960 et du règne de 30 ans d’Idriss Déby Itno. Un examen de la future politique de défense et de sécurité du Tchad n’est pas prévu.

    L’essentiel du message: Quand et comment exactement Idriss Déby Itno est mort reste flou, tout comme la question de savoir pourquoi la France ne s’est pas engagée dans la lutte également. Après s’être battu comme un lion à l’étranger, Idriss Déby Itno a finalement succombé à ses propres faiblesses intérieures. Comme tous les dirigeants tchadiens avant lui, il s’est avéré incapable de surmonter les lignes de fracture qui existent dans la société tchadienne. La mort de Déby prive la France de ce qui est probablement son plus fidèle allié en Afrique.

    Enoncé du problème: Que nous apprend l’histoire de la politique étrangère tchadienne sous le règne d’Idriss Déby Itno sur la stabilité régionale actuelle du Sahel après la mort d’Itno?

    Que faut-il en déduire?: Après les trois décennies de règne d’Idriss Déby Itno, le Tchad et la région du Sahel ont besoin d’un leadership politique inclusif et stable. Si le Tchad devait maintenant vaciller selon des lignes ethniques, comme le Soudan ou le Mali voisins, cela aurait des effets tout aussi dévastateurs, faisant s’écrouler le dernier rempart du Sahel.

    Source: shutterstock.com/hyotographics

    Source: shutterstock.com/hyotographics

    Le Maréchal est mort, vive le Maréchal!

    Le président de longue date du Tchad, Idriss Déby Itno, qui a dirigé le pays pendant plus de trois décennies (1990-2021), est mort comme il a vécu : comme un guerrier. Peu après avoir remporté son sixième mandat consécutif de président, il a été tué sur le champ de bataille dans le nord du pays, ce qui fait de lui le dernier chef d’État africain, après l’empereur éthiopien Yohannes IV en 1889, à avoir connu ce sort. Pendant des décennies, le maréchal Idriss Déby a été un partenaire stable de l’Occident – en particulier de la France – dans la zone du Sahel. Le maréchal était l’un des principaux piliers de Paris en Afrique, et sa perte va sans aucun doute mettre à mal l’Alliance franco-tchadienne. La question de savoir si son fils, qui a été élu président du Conseil militaire de transition après la mort de son père, sera en mesure de maintenir les bonnes relations avec la France et de préserver la stabilité du pays, est sujette à controverse. Depuis 2014, la capitale du Tchad sert de quartier général à l’opération militaire Barkhane menée par la France.

    Le pays que laisse Idriss Déby peut être décrit comme le dernier rempart de la zone sahélienne. Depuis plus d’une décennie, la quasi-totalité de la région est en proie à la guerre et au terrorisme. Le Mali est en guerre depuis 2012, lorsqu’une armée hétéroclite composée de djihadistes et de séparatistes Touaregs a marché sur Bamako et n’a été arrêtée que par une intervention militaire française massive. La paix n’est pas revenue au Mali, qui a connu des coups d’État en août 2020 et en mai 2021.

    Depuis plus d’une décennie, la quasi-totalité de la région est en proie à la guerre et au terrorisme. Le Mali est en guerre depuis 2012, lorsqu’une armée hétéroclite composée de djihadistes et de séparatistes Touaregs a marché sur Bamako et n’a été arrêtée que par une intervention militaire française massive.

    Le Niger voisin n’a pas non plus été épargné par la dégradation de la situation sécuritaire dans la zone sahélienne. Ses frontières poreuses avec le Mali et le Burkina Faso permettent aux terroristes de circuler librement et de frapper à volonté depuis des années. Le résultat est une série de massacres atroces commis contre la population civile et les forces armées du Niger. Une tentative de coup d’État ratée en mars 2021 a été le triste point culminant de la détérioration de la situation sécuritaire. Le bouillant voisin du Tchad à l’est, le Soudan, n’a pas connu un meilleur sort: depuis le renversement du dictateur et antagoniste de longue date, Omar el-Béchir, en 2019, l’instabilité politique subsiste. Ce qui rend le Tchad unique dans sa position géographique et politique est le fait qu’il fonctionne comme un verrou dans la zone sahélienne indisciplinée.

    Pour le meilleur ou pour le pire, le Tchad moderne se trouve être une ancre de stabilité, entouré par les conflits les plus vicieux de l’Afrique contemporaine. Au nord, le Tchad a une frontière avec la Libye. Sous le régime de Khadafi, la Libye représentait une grande menace et organisait régulièrement des incursions au Tchad. Depuis la chute de Khadafi, la Libye a sombré dans le chaos, déstabilisant ainsi de vastes étendues de la zone sahélienne. Au sud, le Tchad est engagé dans une lutte constante contre la force de combat terroriste la plus tenace du continent : Boko Haram. Après que le président de la République centrafricaine (RCA), François Bozizé, a été déposé du pouvoir en 2013, la RCA a subi le même sort que la Libye. La guerre civile, les troubles ethniques et l’antagonisme religieux ont plongé la RCA dans le chaos et ont rendu la frontière sud du Tchad vulnérable aux incursions en provenance de la RCA. Enfin, à l’Est, le conflit non résolu du Darfour, l’instabilité politique du nouveau gouvernement soudanais et la guerre civile en cours entre les deux groupes ethniques dominants dans la nouvelle République indépendante du Sud-Soudan créent une source permanente de frictions. Malgré le chaos qui a englouti tous les pays voisins, sous la direction de l’ancien président Idriss Déby, le Tchad a pu fournir des troupes à l’ONU et au G5 Sahel dirigé par la France, faisant ainsi des forces armées tchadiennes le gendarme du Sahel. Les forces armées tchadiennes ont participé activement à l’opération française « Serval » et se sont imposées comme la force armée la plus redoutable de la région.

    Même si le Tchad a fourni des troupes à l’ONU et au G5 Sahel et qu’il combat Boko Haram depuis des années, cette démonstration de force extérieure masque sa faiblesse intérieure. Comme ses voisins de la région et du Sahel au sens large, le Tchad a souffert des mêmes problèmes intérieurs que le Soudan, le Mali ou le Niger. Une population sédentaire africaine majoritairement noire se trouve opposée à des peuples nomades. Tout comme au Mali[1], le Tchad souffre de ce conflit depuis des décennies. Démonstration de force extérieure et instabilité intérieure, voilà ce qui constitue le paradoxe tchadien. Si le Tchad devait rejoindre le Mali, la Libye ou le Soudan et se décomposer selon des lignes ethniques ou être ravagé par une guerre civile de type somalien, cela aurait des conséquences désastreuses pour l’Afrique du Nord et l’Europe.

    Le coeur mort de l’Afrique

    Souvent décrit comme le cœur mort de l’Afrique[2] en raison de sa position géographique enclavée, le Tchad est certainement l’un des pays les plus ignorés de cette planète. Cela est vrai dans l’anglosphère, mais surtout au centre de l’Europe. L’impression générale de nombreux Européens, en dehors de la France, est que le Tchad est à peine digne d’intérêt et reste essentiellement un point vide. Divisé en un sud africain noir, animiste et chrétien, et un centre et un nord du pays nomade, arabe et islamisé, le Tchad est un exemple parfait de la difficulté des pays du Sahel à concilier l’antagonisme de leurs différents groupes ethniques. Lorsque le Tchad est devenu indépendant en 1960, son premier président François Tombalbaye – un Sara du sud – a mis à l’écart les musulmans du nord par sa politique. Les Tchadiens arabophones qui ont étudié à l’étranger, notamment en Égypte, ont été exclus des postes de la fonction publique[3]. Les Noirs du sud, qui constituent plus de la moitié de la population du Tchad, ont accueilli les troupes françaises au début du 20e siècle comme une puissance protectrice contre les raids d’esclaves du nord. Les Sudistes ont réussi à s’élever dans le secteur public et, en tant que paysans pour la plupart, ils ont grandement bénéficié du développement français de l’industrie du coton, à l’époque la seule source de devises étrangères du pays[4]. Tombalbaye a instauré une dictature brutale qui a fini par provoquer une réaction armée des Gorane et des Zaghawa, deux peuples nomades du nord et de l’est du pays. En 1969, les forces françaises ont dû venir à la rescousse de Tombalbaye[5]. D’une part, l’objectif de cette opération française était de soutenir le régime de François Tombalbaye, et d’autre part, il s’agissait de maintenir l’unité du Tchad[6]. N’ayant pas tiré les leçons de ses erreurs précédentes, Tombalbaye a poursuivi sa campagne de marginalisation et de discrimination. L’attitude à l’égard des musulmans du Nord a atteint son point culminant tragique en 1973 lorsque Tombalbaye a lancé – sur les traces de Mobutu – sa campagne d’ »authenticité », purgeant tout ce qui semblait étranger à la culture tchadienne. La capitale Fort Lamy fut rebaptisée N’Djaména, Tombalbaye changea même son prénom de François à Ngarta, et le Yondo – le rite d’initiation du peuple Sara – devint presque la religion nationale que tous les Tchadiens devaient suivre[7]. La révolution culturelle désastreuse de Tombalbaye fut rejetée par presque tous les segments de la société. En 1975, il a essayé de purger l’armée, une décision qui a été la goutte d’eau qui a fait débordé le vase, entrainant la chute du gouvernement de Tombalbaye. Lors du coup d’État qui a suivi, Tombalbaye a été assassiné, déserté par tous ses anciens partisans dans ses dernières heures[8].

    Les Noirs du sud, qui constituent plus de la moitié de la population du Tchad, ont accueilli les troupes françaises au début du 20e siècle comme une puissance protectrice contre les raids d’esclaves du nord.

    La mort de Tombalbaye a été suivie d’une décennie et demie de guerre fratricide entre divers groupes rebelles Gorane et Zagahwa. Contrairement au Mali, où les sudistes se sont maintenus au pouvoir grâce à leur supériorité démographique, c’est le contraire qui s’est produit au Tchad. Depuis la chute de Tombalbaye et de son successeur, le président de courte durée Félix Mallou, les sudistes ont perdu le pouvoir au profit des peuples du nord et sont absents du pouvoir depuis lors. En 1982, le Gorane Hissène Habré est devenu président du Tchad et a instauré un règne de terreur. On estime qu’environ 40 000 personnes sont mortes à cause de la violence pendant les huit années où Habré était président du Tchad. Tout comme Tombalbaye, Hissène Habré a été sauvé par deux interventions militaires françaises en 1983 et 1986 qui ont réussi à repousser deux incursions libyennes[9].

    La principale opposition à Habré venait du peuple Zaghawa, que dirigeait Idriss Déby. En 1989, une tentative de coup d’État avait échoué, et Déby s’était réfugié au Soudan. Un an plus tard, il a réussi et a pu chasser Hissène Habré du pouvoir. Ce qui est frappant dans le coup d’État de 1990, c’est que les forces françaises du Tchad sont restées neutres. Habré, qui était l’homme que Paris soutenait, s’est vu refuser le soutien des Français et a dû s’exiler. En 1990, Habré est devenu un handicap pour les Français en raison de son mauvais bilan en matière de droits de l’homme et de sa préférence apparente pour les entreprises américaines au détriment des entreprises françaises au Tchad. Comment et dans quelle mesure la France a aidé Idriss Déby reste flou. Jacques Pelletier, ancien ministre français du développement, a fait une remarque laconique après le coup d’État : « On n’a pas aidé Idriss Déby, on l’a laissé faire »[10].

    Le Gendarme du Sahel

    Idriss Déby a dirigé le Tchad d’une main de fer pendant plus de trois décennies. Il a étroitement aligné son pays sur l’ancien maître colonial. Pourtant, contrairement à de nombreux autres chefs d’État africains qui comptaient sur la France pour leur survie, Idriss Déby ne s’est pas contenté de recevoir, il a aussi donné. Au cours des 30 années de son règne, les forces armées tchadiennes sont devenues la meilleure force de combat de la région – et peut-être même du continent. Adoptant le rôle de gendarme du Sahel, Déby a envoyé des soldats tchadiens dans tous les points chauds du Sahel. En 2013, le Tchad a été le seul pays africain à participer militairement à l’opération française « Serval ». Sans la superbe force de combat des soldats tchadiens, il aurait été beaucoup plus difficile pour les Français de conquérir le terrain montagneux de l’Adrar des Ifoghas au nord du Mali. Outre l’opération « Serval », les forces armées tchadiennes ont participé aux opérations menées contre Boko Haram dans le nord du Nigéria et le nord du Cameroun. En outre, en février 2021, deux mois avant sa mort, Déby s’est engagé à envoyer 1 200 hommes supplémentaires dans les trois zones frontalières instables du Mali, du Niger et du Burkina Faso.[11] L’homme fort du Tchad a continué à donner. Ce qui a rendu tous ces efforts militaires possibles, c’est la découverte et la production de pétrole. Cela s’est avéré être un avantage essentiel pour la construction d’une armée forte. En 2004, lorsque la production de pétrole a commencé, l’économie tchadienne a connu une croissance de 30%[12]. Une grande partie de l’argent du pétrole a ensuite été détournée vers les amis d’Idriss Déby et les militaires plutôt que vers le peuple tchadien et les investissements dans les infrastructures.

    Outre l’opération « Serval », les forces armées tchadiennes ont participé aux opérations menées contre Boko Haram dans le nord du Nigéria et le nord du Cameroun. En outre, en février 2021, deux mois avant sa mort, Déby s’est engagé à envoyer 1 200 hommes supplémentaires dans les trois zones frontalières instables du Mali, du Niger et du Burkina Faso.

    Idriss Déby était le plus fidèle allié de la France dans la région. Pour chaque président français, il y a eu un moment où il a fallu sauver « le soldat Déby », comme l’a si bien dit l’africaniste français Antoine Glaser[13]. Car même si Idriss Déby s’est avéré être un allié loyal de la France et de l’Occident au Sahel, la situation était bien différente plus près de chez lui. Le pouvoir d’Idriss Déby a été contesté par des groupes rebelles opposés, tout comme celui de Tombalbaye ou de Habré avant lui. En 2008, le président Sarkozy a dû sauver Déby lorsque les forces rebelles tchadiennes, opposées à Déby, ont réussi à conquérir une partie de N’Djaména. Ce n’est qu’avec l’aide des frappes aériennes françaises que les rebelles ont été repoussés et que Déby a triomphé[14].

    Les fantasmes ottomans

    Même un président aussi puissant qu’Idriss Déby n’a pas pu surmonter le paradoxe tchadien. Depuis que le Tchad est devenu indépendant en 1960, différents groupes rebelles se sont constamment opposés au gouvernement central. Chaque fois que ces différents groupes rebelles ont été battus sur le champ de bataille, ils ont cherché refuge dans les pays voisins, notamment au Soudan ou en Libye. Le voisin du Tchad, au nord, était un foyer constant de mouvements de résistance. Ces mouvements ont ensuite été instrumentalisés par Khadhafi pour étendre l’influence libyenne à toute la zone sahélienne. Lorsque Khadafi a été renversé en 2011, les groupes rebelles opposés au pouvoir d’Idriss Déby ont trouvé refuge dans le sud de la Libye. En octobre 2018, Khalifa Haftar, le nouvel homme fort de l’est de la Libye et, à l’époque, la seule personne potentiellement capable d’unifier à nouveau la Libye, s’est rendu en visite officielle à N’Djaména. En échange d’un soutien militaire, Haftar a promis à Déby de pourchasser les groupes rebelles tchadiens qui s’abritaient en Libye. En janvier 2019, Haftar a lancé une offensive dans la province du Fezzan, dans le sud de la Libye, pour chasser les rebelles tchadiens. Parmi ces rebelles se trouvaient deux neveux d’Idriss Déby, qui se battaient sous la bannière de l’URF (Union des forces de la résistance) contre le gouvernement central[15]. Fin janvier, l’URF est à nouveau entrée en territoire tchadien, et début février, elle a lancé son attaque à grande échelle. C’était maintenant au tour du président Macron de sauver « le soldat Déby ». Les frappes aériennes françaises ont anéanti le groupe rebelle de l’URF et Idriss Déby a une fois de plus survécu à l’assaut des rebelles.

    À la mi-juillet 2020, les chances d’Idriss Déby s’amenuisèrent. Son frère d’armes, le général Haftar, vennait de subir un revers majeur aux mains des drones et des soldats turcs lors de la bataille de Tripoli. Après la défaite d’Haftar aux portes de Tripoli, des groupes rebelles tchadiens opposés à Déby ont à nouveau franchi la frontière libyenne et exploité la vacance du pouvoir dans la province du Fezzan, au sud de la Libye. Au Fezzan, ces groupes rebelles ont été armés et approvisionnés par la Turquie. Depuis des années, les ambitions néo-ottomanes dominent la pensée stratégique d’Ankara. L’objectif de la Turquie en armant les groupes rebelles tchadiens était d’étendre son influence au plus profond de la zone sahélienne.

    En avril 2021, les Tchadiens se sont une nouvelle fois rendus aux urnes, mais avant l’ouverture des premiers bureaux de vote, le vainqueur était déjà certain. Sans aucun doute, Idriss Déby serait déclaré vainqueur. Le jour de l’élection, le mouvement rebelle FACT (Front pour l’alternance et la concorde au Tchad) a franchi la frontière entre la Libye et le Tchad. Une semaine plus tard, il s’est retrouvé dans la province tchadienne du Kanem. Ayant été soldat toute sa vie, Idriss Déby s’est rendu sur la ligne de front pour commander personnellement ses troupes.

    On ne sait toujours pas quand et comment Idriss Déby Itno est mort exactement, ni pourquoi la France ne s’est pas engagée dans la lutte. Après avoir combattu à l’étranger comme un lion, Idriss Déby Itno a finalement succombé à ses propres faiblesses intérieures. Comme tous les dirigeants tchadiens avant lui, il s’est avéré incapable de surmonter les lignes de fracture qui existent dans la société tchadienne. La mort de Déby prive la France de son plus fidèle allié en Afrique, puisqu’il était un fidèle allié de la France. L’engagement de la France dans la zone sahélienne est exclusivement lié à des objectifs de sécurité. Très souvent, cependant, la France est également critiquée pour son exploitation économique dans la zone du Sahel. Il s’agit là d’un vieux mythe qui est loin de la vérité. En outre, on ne sait pas si le fils d’Idriss Déby sera en mesure de poursuivre l’œuvre de son père. Si le Tchad n’était pas en mesure de fournir des troupes au G5 Sahel et à la mission de l’ONU au Mali et de continuer à mener la lutte contre Boko Haram au Nigéria et au Cameroun, cela aurait un effet dévastateur sur toute la région. De plus, si le Tchad devait maintenant vaciller selon des lignes ethniques, comme le Soudan ou le Mali voisins, cela aurait des effets tout aussi dévastateurs, faisant s’effondrer le dernier rempart du Sahel. Pour l’instant, la situation reste floue. Bien sûr, le fils de Déby promet de poursuivre la coopération avec la France, mais il reste à voir si les questions intérieures permettront l’envoi de milliers de soldats tchadiens à l’étranger ou si ces soldats sont plus utiles dans le pays pour défendre la famille Déby et ses intérêts.

    Dr. Laurenz Fürst a étudié l’histoire, la slavistique et l’africanistique. Domaine de recherche: Géopolitique, développement des conflits et mouvements de sécession dans les Balkans, le Moyen-Orient, le Caucase et l’Afrique sub-saharienne. Les opinions contenues dans cet article n’engagent que l’auteur et en aucun cas le traducteur.

    [1] Laurenz Fürst, „Krisenstaat Mali. Was tun,“ Österreichische Militärische Zeitschrift 2/2021.

    [2] Herve‘ Bourges, Dictionnaire amoureux de l’Afrique (Paris, 2017), 770.

    [3] Jean-Francois Bayart, L‘Etat en Afrique. La Politique du Ventre (Paris, 2006), 196.

    [4] Martin Meredith, The State of Africa. A History of Fifty Years of Independence (London 2005), 347.

    [5] Frédéric Turpin, Jacques Foccard, Dans l’ombre du pouvoir (Paris 2015), 210.

    [6] Idem.

    [7] Bernard Lugan, Les guerres du Sahel. Des origines à nos jours (Panissières, 2019), 153.

    [8] Martin Meredith, The State of Africa. A History of Fifty Years of Independence (London 2005), 349.

    [9] Philip Short, Mitterand. A Study in Ambiguity (London, 2014), 491.

    [10] Claude Wauthier, Quatre Présidents et l’Afrique (Paris, 1995), 568.

    [11] https://www.africanews.com/2021/02/16/chad-sends-troops-to-volatile-sahel-and-leaders-debate-limits-of-force/, last accessed 09.06.2021.

    [12] Tom Burgis, The Looting Machine. Warlords, Tycoons, Smugglers and the systematic Theft of Africa’s Wealth (London 2016), 154-155.

    [13] Antoine Glaser/ Pascal Airault, Le Piège Africain de Macron (Paris, 2021), 26.

    [14] Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Une Guerre Perdue (Paris, 2020), 44.

    [15] https://www.crisisgroup.org/africa/central-africa/chad/au-tchad-lincursion-des-rebelles-devoile-les-fragilites-du-pouvoir, abgerufen 11.06.2021.

  • Protestation de la Jeunesse et Reforme de la Police: Quel est L’Avenir du Mouvement ENDSARS?

    Protestation de la Jeunesse et Reforme de la Police: Quel est L’Avenir du Mouvement ENDSARS?

    Traduit de l’anglais par Abdel-Aziz S. Ali Orou [coach.ali.translator@gmail.com]

    Résumé: En plus d’attirer l’attention des médias internationaux et des gouvernements étrangers, le récent soulèvement de la jeunesse au Nigéria, provoqué par l’appel à la réforme de la police, a ébranlé le gouvernement fédéral et les gouvernements des États. Il a également remis en question les principes fondamentaux du maintien de l’ordre au Nigéria. La plupart des observateurs ont décrit cette évolution comme un mouvement qui a poussé les autorités nigérianes dans leurs derniers retranchements. En d’autres termes, il a ébranlé le Nigéria jusque dans ses fondements. Dans une perspective historique, cet article affirme que la brutalité policière est antérieure à la création de la l’Unité spéciale anti-braquage SARS (Special Anti-Robbery Squad), une unité qui dépend de la police nigériane. Au Nigéria, la brutalité policière est profondément enracinée dans la philosophie policière coloniale et post-coloniale. En tant que tel, cet article tente également d’analyser les facteurs éloignés et proches qui sous-tendent les protestations du mouvement EndSARS visant à mettre un terme à la brutalité policière. En outre, il couvrira les résultats potentiels des protestations, les voies divergentes pour le mouvement, et les voies à suivre pour le gouvernement afin de répondre aux demandes des manifestants.

    Le fond du problème: La brutalité et l’impunité de la police nigériane ne se limitent pas à la fameuse et redoutable subdivision SARS. Au fond, elle est enracinée dans l’existence du pays. Cela étant dit, pour éviter un état d’anomie totale, il est nécessaire de procéder à une réforme systémique qui tienne compte des aspirations et des préoccupations des civils.

    Énoncé du problème: L’objectif de cet article est de mettre en évidence les facteurs sous-jacents de la brutalité et de l’impunité policières, qui sont à l’origine des manifestations EndSARS. En effet, il existe toujours des preuves accablantes de la brutalité policière et de l’audace incroyable avec laquelle certains membres de la police commettent des actes odieux. Il est donc opportun d’enquêter de manière narrative sur la genèse de la brutalité policière au Nigéria.

    Que faut-il en déduire?: Pour l’avenir, il est important que la jeunesse du pays continue à exiger une force de police réactive et responsable. L’Internet, et plus particulièrement les médias sociaux, a offert un moyen par lequel les jeunes Nigérians peuvent s’engager en permanence et faire pression sur le gouvernement pour exiger un changement du style actuel de maintien de l’ordre. Un autre aspect important que ce document souligne est la nécessité d’une réforme systémique visant à corriger les anomalies attribuées au système de gouvernance du Nigéria.

    Source: shutterstock/Teo-Inspiro International

    Source: shutterstock/Teo-Inspiro International

    Histoire de la brutalité policière au Nigéria

    Le maintien de l’ordre au Nigéria peut être classé dans les deux catégories suivantes : le maintien de l’ordre colonial et post-colonial. Notamment, avant la colonisation généralisée de l’Afrique, ses royaumes et empires possédaient une structure policière indigène qui servait à assurer la paix. Par exemple, les empires Songhai et Oyo (le long du fleuve Niger dans la province nigériane d’Oyo) disposaient d’une hiérarchie bien structurée au sein de leur système policier avant que les maîtres coloniaux ne l’arrêtent brusquement pour en introduire une nouvelle.

    La police nigériane a été créée à l’origine par les maîtres coloniaux selon le principe de la politique de domination indirecte, introduite dans certaines de leurs colonies[1] (il est important de mentionner que le type de police mis en place par les maîtres coloniaux était une force locale et décentralisée – ce qui est compréhensible en raison de la barrière de la langue – d’où la présence d’hommes de tribu comme agents de police). Les puissances coloniales sont arrivées avec des visées économiques, et la résistance des indigènes était considérée comme une violation de la loi et de l’ordre.[2] Ainsi, la création de la police visait à protéger les intérêts économiques des maîtres coloniaux. De la même manière, elle avait pour but d’infliger une punition rétributive aux délinquants supposés et de servir de moyen de dissuasion pour ceux qui s’engageaient dans la résistance (protestation). Déductivement, le style de maintien de l’ordre adopté par les maîtres coloniaux donnait la priorité aux mesures punitives plutôt qu’à la promotion des relations avec ou entre les indigènes. À cette époque, la police était utilisée comme une arme d’oppression, de ségrégation et d’assujettissement. En d’autres termes, elle était conçue pour susciter la peur et freiner les soulèvements des populations autochtones.

    Les puissances coloniales sont arrivées avec des visées économiques, et la résistance des indigènes était considérée comme une violation de la loi et de l’ordre. Ainsi, la création de la police visait à protéger les intérêts économiques des maîtres coloniaux.

    Malheureusement, le concept de police post-coloniale était à la fois une continuation de la structure d’aliénation héritée et un outil d’oppression des pauvres au Nigéria. Autrement dit, bien que l’oppresseur ait changé, la fonction de la police n’a pas changé. La nation a subi une incursion militaire qui a altéré son élan démocratique depuis son indépendance de la Grande-Bretagne. Par conséquent, le maintien de l’ordre post-colonial implique l’expérience acquise sous le régime militaire du Nigéria et dans sa structure démocratique, en particulier celle de 1999.

    L’expérience du maintien de l’ordre pendant le régime militaire n’était pas différente du statu quo d’aujourd’hui. À cette époque, la hiérarchie militaire (avec l’aide de la police) a réprimé les Nigérians qui réclamaient le retour à un gouvernement démocratique.

    Cela montre non seulement la poursuite d’une culture axée sur la légalité, mais aussi un fossé plus profond entre les citoyens et leur gouvernement. De même, cette époque a eu un impact négatif sur la police en tant qu’institution – elle a souffert de l’épuisement et de la négligence de l’autorité militaire[3]. En conséquence, s’en sont suivies des relations hostiles entre le public et la police.

    Le Nigéria a marqué son retour à un régime démocratique en 1999. On s’attendait à ce que la police adopte les principes d’une « police démocratique » qui favorise fortement le respect des droits de l’homme. La démocratie a été classée en formes forte et faible, ce qui a de fortes implications sur le style de fonctionnement de la police. La légitimité de la forme de gouvernance et de la structure policière a fait l’objet de discussions[4]. En raison de la nature des acteurs politiques au Nigéria, le style de fonctionnement de la police est sans doute conçu pour favoriser les élites au détriment du public. Cela se reflète dans la façon dont les officiers de police ont traité les Nigérians au fil des ans, en particulier dans le milieu récent qui a abouti au démantèlement de l’unité SARS. En résumé, il existe un argument primordial contre les fonctions et les opérations de l’entité, notamment en ce qui concerne la brutalité et les tendances oppressives des forces de police. En fait, ses antécédents historiques remontent aux premiers temps de la colonisation.

    Réformes de la police au Nigéria

    Après le retour à un régime démocratique en 1999, des appels ont été lancés au gouvernement pour une réforme de la police en tant qu’institution. Il a été demandé qu’elle se conforme aux meilleures pratiques internationales en matière de maintien de l’ordre. Après une première hésitation du gouvernement, le président Olusegun Obasanjo a nommé Sunday Ehindero au poste d’Inspecteur général de la police par intérim. Il est immédiatement passé à l’action, élaborant un programme en dix points pour réformer la police[5]. Au cours de cette période, le Nigéria a été témoin des tristement célèbres tueries d’Apo Six, qui a mis en lumière l’impitoyable brutalité policière et les exécutions extrajudiciaires. Conformément aux meilleures pratiques, Ehindero a donc mis en place un panel pour enquêter sur les six meurtres. Ces efforts n’ont donné aucun résultat. On peut dire qu’ils ont renforcé la poursuite des meurtres de Nigérians, ce qui témoigne d’un manque de responsabilité de la police. Dans la même veine, la réforme proposée par Ehindero s’est engagée à s’attaquer à la corruption de la police, en particulier aux pots-de-vin (paiements illicites versés aux officiers de police pour l’accomplissement de leurs missions), un fléau connu au sein de l’institution. De nombreuses preuves ont fait allusion au fait que la police est enfoncée jusqu’au cou dans la corruption, malgré les tentatives pour l’enrayer[6].

    Au cours de cette période, le Nigéria a été témoin des tristement célèbres tueries d’Apo Six, qui a mis en lumière l’impitoyable brutalité policière et les exécutions extrajudiciaires.

    De même, au cours de la période 1999-2012, le gouvernement a délégué des groupes de réforme tels que le Muhammad Danmadami Presidential Committee on Police Reform (2006) et le M.D Yusufu Presidential Committee Reform of the Nigeria Police Force. À l’inverse, les initiatives susmentionnées n’ont donné aucun résultat. Il est toutefois intéressant de noter que les recommandations de ces comités et d’autres, comme les rapports des OSC sur la réforme de la police, ont été adoptées par les gouvernements successifs et l’institution policière[7]. Dans sa présentation sur la réforme de la police au Nigéria, Hills a affirmé que  » la réforme de la police au Nigéria se résume à ce que la personne au pouvoir dit qu’elle est »[8], ce qui indique que les élites politiques du Nigéria doivent faire preuve d’un réel empressement pour accepter et pousser la réforme au sein de l’entité.

    Après plusieurs années de tentatives de la part des organisations de la société civile et des partenaires internationaux du développement en faveur d’un maintien de l’ordre démocratique au Nigéria, le président Muhammadu Buhari a récemment approuvé la Loi sur la réforme de la police (2020). Malgré cette avancée historique, le scepticisme est toujours de mise quant au respect du contenu de la loi. Il est clair que les Nigérians manquent de confiance dans la fiabilité de leur gouvernement. Cette méfiance a été renforcée par les récents cas de brutalité policière qui ont donné lieu à des manifestations nationales contre la loi, identifiées sous le vocable de EndSARS.

    La création et les opérations de la Brigade spéciale anti-braquage (SARS)

    Avant la création de l’unité SARS en 1992, grâce à Simeon Danladi Midena, sous l’égide du Département des enquêtes criminelles et du renseignement de la Force (FCIID), les commandements de police du Nigéria disposaient d’une brigade anti-braquage. La situation a changé en 1992 à la suite d’une série de vols à main armée dans l’Etat de Benin, qui ont remis en question l’efficacité de la brigade locale de Midena à l’époque. Après la mise en place d’une unité efficace au Benin, Midena a été transféré à Lagos pour aider à combattre une série de vols à main armée et d’enlèvements. Cela s’est métamorphosé en une cooptation de l’unité des autres États de la fédération en une seule unité sous l’égide du FCIID.

    L’objectif de l’unité était d’opérer secrètement, avec la permission de travailler sans uniforme et avec des véhicules banalisés qui dissimulaient son identité publique. Au fil des ans, les activités du SARS sont devenues visibles, par exemple en participant à des fouilles de voitures injustifiées. La chaîne de commandement a également changé, les membres rendant compte à un commissaire de police au Quartier général. Bénéficiant d’une grande liberté et d’une surveillance minimale, la subdivision est devenue célèbre pour ses exécutions extrajudiciaires et ses extorsions dans tout le Nigéria. À plusieurs reprises, le gouvernement a promis une réforme qui n’a abouti qu’à une nouvelle nomenclature telle que le passage du SARS au FSARS. Les tendances négatives du groupe se sont aggravées avant de culminer dans les récentes protestations contre les brutalités policières.

    L’objectif de l’unité était d’opérer secrètement, avec la permission de travailler sans uniforme et avec des véhicules banalisés qui dissimulaient son identité publique. Au fil des ans, les activités du SARS sont devenues visibles, par exemple en participant à des fouilles de voitures injustifiées.

    Il est impératif de mentionner que la brutalité policière en tant que phénomène n’est pas atypique au Nigéria et n’exclut pas les nations développées et en développement. Dans le monde entier, des réactions massives à la brutalité policière ont eu lieu dans des pays tels que les États-Unis, le Zimbabwe, l’Afrique du Sud, le Kenya et d’autres encore. Dans certains de ces pays, les réactions ont pris la forme d’une indignation publique et de manifestations exigeant la fin du racisme systémique et de la brutalité policière (qui caractérise le maintien de l’ordre public). Au Nigéria, le mot-dièse EndSARS a été utilisé pour partager des expériences d’agressions et de violences perpétrées par le personnel du défunt et tristement célèbre SARS. L’irrespect total des droits de l’homme n’est pas seulement l’apanage de la tristement célèbre unité SARS, il se manifeste également au sein de l’institution policière du pays. Les Nigérians sont habitués à la brutalité policière, à tel point qu’il n’existe aucune différence entre le personnel de l’unité SARS et les autres unités de la police. Cela s’explique notamment par le fait que les deux groupes partagent des tendances oppressives similaires. Les protestations nationales contre la brutalité policière ont commencé le 8 octobre 2020, lorsqu’une vidéo témoin a été diffusée. Dans cette vidéo, des officiers de police supposés appartenir à l’unité SARS auraient tiré et tué un jeune homme dans l’État du Delta, dans le sud du Nigéria[9].

    En réaction, des manifestations ont été organisées autour de concept EndSARS, l’action de masse réclamant la suppression définitive de l’unité qui a duré deux semaines[10]. Pendant ces événements, les forces de police nigérianes ont sillonné les villes du pays dans tous les sens. Créé au milieu des années 1990 pour lutter contre les vols à main armée, le SARS s’est progressivement métamorphosé en une force associée au harcèlement de citoyens innocents, à l’extorsion sous la menace d’arme à feu[11] et aux exécutions extrajudiciaires[12], comme indiqué précédemment.

    Moteurs et revendications du mouvement EndSARS

    La majorité des manifestants du mouvement sont de jeunes Nigérians. Le pays a une riche histoire de protestations de la jeunesse, prenez par exemple sa lutte pour l’indépendance qui a commencé par un soulèvement de la jeunesse. Les manifestants du mouvement EndSARS, qui s’opposent au profilage et au harcèlement injustes, se sont initialement mobilisés spontanément. Au début, les demandes des manifestants étaient simples: le gouvernement fédéral devait dissoudre le SARS, rendre justice aux victimes de brutalités policières et réformer la police. Aujourd’hui, les demandes se sont élargies, se fondant sur l’incapacité du gouvernement à offrir une prospérité économique équitable à ses citoyens et à sa jeunesse enragée. En plus d’appeler les forces de l’ordre à respecter l’état de droit, les manifestants exigent un plus grand respect des droits de l’homme et le renforcement de la démocratie[13]. En outre, ils protestent pour la relance des systèmes d’éducation et de santé ainsi que pour des efforts plus substantiels en matière de création d’emplois. En bref, le message du mouvement EndSARS est que les jeunes Nigérians veulent reprendre leur pays[14] des mains d’un ordre politique bien établi qui n’a pas servi leurs intérêts.

    Au début, les demandes des manifestants étaient simples: le gouvernement fédéral devait dissoudre le SARS, rendre justice aux victimes de brutalités policières et réformer la police.

    Le mécontentement des jeunes couvait déjà en raison de la crise économique provoquée par la chute de la demande mondiale de pétrole (aggravée par l’apparition de la pandémie de COVID-19), de la corruption institutionnalisée et des extravagances de l’État. Il est probable que ces facteurs ont aggravé la pauvreté. Ce qui précède coïncide également avec une période de huit mois de fermeture des établissements d’enseignement[15] en raison des grèves des professeurs d’université[16], laissant un certain nombre de jeunes aliénés et en colère. Selon le Bureau national des statistiques, au deuxième trimestre de 2020, le taux de chômage au Nigéria s’élevait au chiffre stupéfiant de 27,1 %, tandis que 28,6 % supplémentaires relevaient de la catégorie du sous-emploi. Le taux combiné de chômage et de sous-emploi s’élevait à 55,7 %. Sur les 21,7 millions de chômeurs, les jeunes (de 15 à 34 ans) représentent 34,9%, tandis qu’ils représentent également 28,2% des 22,9 millions de Nigérians sous-employés.

    L’aggravation des conditions économiques et les sombres prévisions pour l’avenir n’ont fait qu’attiser le feu. Le Nigéria s’est à peine remis de la récession économique qui a débuté en 2016, et le président Buhari a appelé les citoyens à se préparer à une nouvelle récession. Les jeunes étaient déjà courroucés par les rapports sur la corruption des élites de haut niveau, l’inflation galopante et les niveaux de chômage sans précédent. De surcroit, le gouvernement a annoncé des augmentations du prix du carburant[17] et de l’électricité[18].

    En gardant cela à l’esprit, les manifestations EndSARS sont devenues le symbole d’un ressentiment accru et ont ouvert la voie aux jeunes Nigérians marginalisés pour qu’ils puissent exprimer contre le gouvernement, leurs griefs refoulés, à commencer par les excès de SARS. Le gouvernement n’a pas réussi à remédier à ces excès, même après plusieurs promesses de réforme[19]. Les protestations contre la brutalité de cette unité ont commencé vers 2010. La première annonce de son démantèlement a été faite en 2014, puis en 2015, 2016 et enfin 2019[20]. La nature non partisane des protestations contre le SARS pourrait sans doute expliquer le soutien plus large que le mouvement a recueilli auprès du grand public et les succès qu’il a obtenus.

    Quelles sont les prochaines étapes pour le mouvement EndSARS ?

    À l’heure actuelle, la vague de manifestations de rue s’est calmée en raison de la répression militaire contre les participants. L’évolution, qu’elle soit intentionnelle ou non, du mouvement EndSARS dépend de son organisation et de la réponse de l’État. Le rôle des médias sociaux dans la conduite de la protestation EndSARS a été bien enregistré[21]. Cependant, cette méthode présente des risques car ce média a souvent du mal à atténuer les infox qui déclenchent des violences et des représailles, notamment entre les communautés ethno-religieuses. Par exemple, les habitants du Nord (en grande partie des partisans de Buhari) pensent que le programme EndSARS est dirigé par des habitants du Sud qui cherchent à discréditer Buhari[22] plutôt que d’être des doléances légitimes de la jeunesse.

    Quoi qu’il en soit, il convient de mentionner que les jeunes du Nord ont simultanément lancé une manifestation baptisée Secure North pour souligner les graves problèmes de sécurité auxquels est confronté le Nord du Nigéria[23].

    En outre, le risque que le mouvement soit détourné existe: la plupart des politiciens nigérians ne se sont pas privés d’exploiter la religion et les tensions géopolitiques pour des gains provinciaux. EndSARS pourrait leur fournir l’occasion de le faire. De même, les vandales ont profité du vide sécuritaire créé par les manifestations EndSARS et la colère qui les a suscitées. La tendance séparatiste du Peuple Indigène du Biafra (IPOB)[24] dans l’Est et de la République Oduduwa dans l’Ouest accompagnée de toute réponse déplacée du gouvernement pourraient créer des opportunités pour ces groupes d’approfondir leur rhétorique et d’accroitre leur mobilisation[25]. Ainsi, EndSARS pourrait finir par être détourné de son but.

    La plupart des politiciens nigérians ne se sont pas privés d’exploiter la religion et les tensions géopolitiques pour des gains provinciaux. EndSARS pourrait leur fournir l’occasion de le faire.

    Néanmoins, l’impulsion donnée par la manifestation EndSARS a accentué le potentiel de réforme globale de la police et de changement démocratique. Le gouvernement a cédé aux demandes des manifestants, promettant de réformer la police. Quoi qu’il en soit, si le gouvernement ne tient pas activement sa promesse de réforme de la police, les protestations soutenues en ligne avec des mots-dièses à la mode pourraient déclencher d’autres vagues de protestations dans la rue.

    Plus important encore, le mouvement EndSARS a montré l’ingéniosité des jeunes Nigérians à se rassembler et a fait naître la possibilité de traduire EndSARS en une cause politique. En effet, près de la moitié des électeurs inscrits au Nigéria sont âgés de 18 à 35 ans[26] – ce qui signifie que les jeunes détiendront la majorité de l’influence électorale lors des élections de 2023. S’ils sont efficacement organisés, ils pourraient renverser les établissements politiques actuels – les deux grands partis que sont le All-Progressive Congress et le People’s Democratic Party. Une telle action pourrait générer un véritable changement démocratique au Nigéria.

    La voie à suivre

    Il existe des voies divergentes à partir de la tournure des événements résultant de la fusillade de Lekki[27]. Comme la plupart des protestations dans le monde, EndSARS a violemment secoué la politique nationale. En revanche, c’est ce qui se passe après les actions de rue et de place qui peut faire la différence. Les manifestations de masse attirent souvent l’attention, mais ce qui suit est vital pour obtenir un changement réel et durable. Le travail des mobilisateurs dans les manifestations de EndSARS était bien défini. Un problème majeur auquel pourrait être confronté le mouvement EndSARS comme la plupart des autres est la diminution de l’attention locale, nationale et internationale. À mesure que les manifestations perdent de leur élan, la tendance du gouvernement à revenir sur les promesses faites au plus fort des protestations augmente, tandis que l’attention politique, médiatique et diplomatique accordée au mouvement laisse présager une évaporation rapide.

    Par conséquent, les manifestants du mouvement EndSARS doivent maintenir l’engagement des médias en ligne afin de continuer à alimenter la conversation sur la réforme complète de la police et de suivre les progrès accomplis dans la satisfaction des demandes qui ont initialement motivé les manifestations de rue. Les médias sociaux offrent des opportunités uniques pour atteindre de tels résultats.

    Un autre facteur concerne la capacité des manifestants de la campagne EndSARS à rester unis. Il a été dit que des divisions internes apparaissent facilement parmi les réformateurs une fois que l’adrénaline unificatrice de l’action de rue s’estompe. Lorsque cela se produit, le gouvernement a plus de facilité à éviter ou même à annuler les réformes. Pour maintenir l’élan civique, les activistes d’EndSARS doivent regarder au-delà des méthodes d’action directe efficace et envisager comment construire des ponts entre les divers acteurs impliqués à travers les lignes de fracture traditionnelles du Nigéria. Celles-ci pourraient être classées en nord ou sud, chrétiens ou musulmans, et ethnies majoritaires ou minoritaires. Dans les scénarios où cela se produit, les réformes (démocratiques ou liées à la police) ont le plus de chances d’être soutenues. Il est louable de noter qu’une conférence (#WEMOVE 2020 CONFERENCE avec Banky W, Timi Dakolo, etc) a été organisée par des jeunes et des célébrités sur une plateforme en ligne. Ensemble, ils ont planifié la prochaine ligne d’action en réaction au gouvernement qui a mis fin aux manifestations pacifiques par une répression militaire. Le mouvement EndSARS doit continuer à construire un ensemble plus large d’alliances et à développer des relations stratégiques avec la politique traditionnelle. De cette façon, il pourrait tirer profit des leçons d’autres pays où les mouvements sont passés de la protestation à la politique avec plus de succès.

    Pour maintenir l’élan civique, les activistes d’EndSARS doivent regarder au-delà des méthodes d’action directe efficace et envisager comment construire des ponts entre les divers acteurs impliqués à travers les lignes de fracture traditionnelles du Nigéria.

    En fin de compte, il est nécessaire de procéder à une réforme systémique dans toutes les secteurs de la vie publique au Nigéria, qui tient à des décennies de négligence et d’impunité de la part de son gouvernement. Il est donc essentiel d’évaluer l’état actuel des réformes nécessaires (qui garantissent le respect des droits de l’homme et offrent aux citoyens la possibilité de réaliser leurs aspirations).

    Il est important de reconnaître que les commissions judiciaires conduisant les enquêtes occupent des sièges dans différents États du pays. Néanmoins, ce qu’il adviendra d’EndSARS dépend largement de la volonté du gouvernement fédéral d’enquêter sur les fusillades de Lekki lors des manifestations. Les participants protestaient de manière ouverte, transparente et de bonne foi. Les efforts déployés par le gouvernement fédéral pour répondre aux préoccupations exprimées dans un programme en sept points soumis au président Buhari ont également renforcé la confiance des manifestants et de la diaspora nigériane, qui continue de soutenir les manifestations de diverses manières.


    Olaniyi Olumayowa a obtenu une maîtrise en sociologie à l’Université Obafemi Awolowo (OAU), au Nigéria. Ayant un vif intérêt pour les études sur la police et la sécurité, il a focalisé sa recherche autour de ce sujet. Le deuxième auteur, Oluwole Ojewale, est titulaire d’un doctorat en planification urbaine et régionale de l’OAU. En tant que chercheur et expert en gestion de programmes, il a accumulé de solides références dans des domaines tels que la criminalité transnationale organisée, la violence urbaine, le maintien de l’ordre et la gouvernance de la sécurité en Afrique subsaharienne. Il est également co-auteur de Urbanization and Crime in Nigéria (Palgrave Macmillan, 2019) qui est réputé être le premier ouvrage complet sur l’intersection entre l’urbanisation et la criminalité au Nigéria. Les opinions présentées dans cet article sont strictement celles des auteurs, elles ne représentent pas celles de l’Institut d’études de sécurité (ISS) ou de l’Institut de sondage pour l’Afrique (API), encore moins celles du traducteur.


    [1] Etannibi Alemika and Innocent C. Chukwuma, Analysis of Police and Policing in Nigeria: A Desk Study on the Role of Policing As a Barrier To Change or Driver of Change in Nigeria (Lagos: CLEEN Foundation Justice Sector Reform, 2005), 1–24.

    [2] Kehinde David Adejuwon and Olusegun Adeyeri, « The Implications of British Colonial Economic Policies on Nigeria’s Development, » International Journal of Advanced Research in Management and Social Sciences, vol 1, no. 2 (August 2012): 1–16.

    [3] Etannibi E. O. Alemika (2010), « History, Context and Crises of the Police in Nigeria, » Repositioning the Nigeria Police to Meet the Challenges of Policing a Democratic Society in the Twenty-First Century and Beyond (Akwa-Ibom: Police Service Commission, 2010), 1–19.

    [4] US Department of Justice, « Policing in Emerging Democracies » (Report, Department of Justice, 1997), passim., https://www.ncjrs.gov/pdffiles/167024.pdf.

    [5] Alice Hills, « The Dialectic of Police Reform in Nigeria », The Journal of Modern African Studies 46.

    [6] Oluwaniyi Oluwatoyin O. Oluwaniyi, « Police and the Institution of Corruption in Nigeria », Policing and Society 21, no. 01 (January 2011):, 67–83, <https://doi.org/10.1080/10439463.2010.541245>.

    [7] Peter W. Naankiel, Chollom J. Christopher, and Godwin O. Olofu, « Police Reforms and National Security in Nigeria », History and Archaeology Taraba State University 2, no. 01: 98–114.

    [8] Alice Hills, « The Dialectic of Police Reform in Nigeria », The Journal of Modern African Studies 46, no. 02: 215–34, <https://doi.org/10.1017/S0022278X08003200>.

    [9] Suyin Haynes, “The Nigerian Army Shot Dead at Least 12 Peaceful Protesters in Lagos, Rights Group Says”, Time, October 23, 2020, https://time.com/5902112/nigeria-endsars-protest-shootings/.

    [10] Abuh Adamu et al, “EndSARS Protests: Buhari Promises to Improve Governance”, The Guardian, October 24, 2020, https://guardian.ng/news/endsars-protests-buhari-promises-to-improve-governance/.

    [11] Sada Malumfashi, “Nigeria’s SARS: A Brief History of the Special Anti-Robbery Squad,” Al Jazeera, October 22, 2020, https://www.aljazeera.com/features/2020/10/22/sars-a-brief-history-of-a-rogue-unit.

    [12] Emmanuel Akinwotu, “Nigeria to Disband Sars Police Unit Accused of Killings and bBrutality,” The Guardian, October 11, 2020, https://www.theguardian.com/world/2020/oct/11/nigeria-to-disband-sars-police-unit-accused-of-killings-and-brutality.

    [13] Sulaimon Nimot Adetola, “#EndSARS Protesters Highlight 7 Demands for Buhari,” PM News Nigeria, October 16, 2020, https://www.pmnewsnigeria.com/2020/10/16/endsars-protesters-highlight-7-demands-for-buhari/.

    [14] Freda Oti, „EndSARS – SARS Must End,” Linkedin, October 2020, https://www.linkedin.com/posts/freda-oti-44269614a_endsars-endsarsnow-sarsmustend-activity-6721458811149922304-I9F-/.

    [15] Wahab Adesina, “School Re-opening: We Are Still on Strike, ASUU Insists,” Vanguard, October 02, 2020, https://www.vanguardngr.com/2020/10/school-re-opening-we-are-still-on-strike-asuu-insists/.

    [16] Yinka Adeniran, “Stakeholders Back ASUU Strike ‘to secure our children’s future,” The Nation, October 26, 2020, https://thenationonlineng.net/stakeholders-back-asuu-strike-to-secure-our-childrens-future/.

    [17] Abiola Odutola, “President Buhari Reportedly Approves Electricity Tariff Increase from September 1st 2020,”Nairametrics, August 26, 2020, https://nairametrics.com/2020/08/26/electricity-tariff-increase-set-for-september-1st-2020/.

    [18] Sodiq Omolaoye, “For Five Years, Buhari ‘Campaigned’ for Corrupt Politicians, CDD says,”The Guardian, May 29, 2020, https://guardian.ng/news/for-five-years-buhari-campaigned-for-corrupt-politicians-cdd-says/.

    [19] Andrew Chow., “The Nigerian Government Has Pledged to #EndSARS and Reform the Police. This Isn’t the First Time They’ve Made That Promise,”Time, October 28, 2020, https://time.com/5904345/endsars-history-nigeria/.

    [20] Yomi Kazeem, “How a Youth-led Digital Movement is Driving Nigeria’s Largest Protests in a Decade,” Quartzafrica, October 12, 2020, https://qz.com/africa/1916319/how-nigerians-use-social-media-to-organize-endsars-protests/.

    [21] Ibid.

    [22] Iroanusi Esther Queen, “#EndSARS Protests Targeted at Buhari not SARS – Ex-senator,” Premium Times, October 13, 2020, https://www.premiumtimesng.com/news/more-news/420372-endsars-protests-targeted-at-buhari-not-sars-ex-senator.html.

    [23] Abdul Gafar Alabelewe AbdulGafar, “#SecureNorth Protesters List Demands,” The Nation, October 21, 2020, https://thenationonlineng.net/securenorth-protesters-list-demands/.

    [24] Udeajah Gordi, Collins Osuji (Owerri) and Odun Edward, “Don’t Give up, IPOB Urges Demonstrators,” Guardian, October 22, 2020, https://guardian.ng/news/dont-give-up-ipob-urges-demonstrators/.

    [25] Chimaobi Nwaiwu, “Don’t Compromise, IPOB leader, Kanu, Tells ENDSARS Protesters,” Vanguard, October 13, 2020, https://www.vanguardngr.com/2020/10/dont-compromise-ipob-leader-kanu-tells-endsars-protesters/.

    [26] Alexis Akwagyiram, “Nigeria’s Election: Young Voters, Old Candidates,” Reuters, February 13, 2019, https://www.reuters.com/article/us-nigeria-election-preview-idUSKCN1Q21CQ.

    [27] Samuel Omojoye, “Lekki Shootings: Between Facts and Fiction,” Vanguard, November 30, 2020, https://guardian.ng/opinion/lekki-shooting-between-facts-and-fiction/.

  • Nécessité d’une Synergie entre la Police et l’Armée

    Nécessité d’une Synergie entre la Police et l’Armée

    Traduit de l’anglaispar Abdel-Aziz S. Ali Orou [coach.ali.translator@gmail.com]

    Résumé: Le paysage sécuritaire contemporain au Nigéria pose des défis sans précédent qui dépassent les capacités de protection de la seule police conventionnelle. Globalement, la lutte contre l’insurrection et d’autres crises sécuritaires nouvelles nécessite la collaboration de la police et des autres agences de sécurité concernées, en particulier l’armée. Toutefois, cette collaboration peut être entravée par les conflits inter-institutionnels récurrents entre la police et les autres structures en charge de la sécurité. Nous avons mené une étude sur ce phénomène. Notre étude de la police nigériane et de l’armée nigériane, dont les résultats sont détaillés ci-dessous, révèle que les principales causes du clivage entre les deux organisations sont, entre autres, la suspicion mutuelle entre les membres des deux organisations, les différences dans la structure hiérarchique des deux institutions et les complexes de supériorité.

    Le fond du problème: Ce document examine les comptes-rendus de conflits entre la police et l’armée nigérianes afin d’explorer les causes possibles du conflit et de mettre en exergue le besoin inévitable pour les deux institutions de travailler ensemble pour un maintien de l’ordre public efficace. Le document utilise la perspective de la théorie du conflit de Dahrendorf.

    Enoncé du problème: Comment employer le secteur de la sécurité d’une nation de manière coordonnée et efficace pour contrer les menaces de sécurité interne en toute légalité ?

    Que faut-il en déduire?: Il est suggéré que les agents et le personnel des deux institutions reconnaissent la pertinence de leur complémentarité et forgent des relations harmonieuses pour promouvoir un maintien de l’ordre public efficace. Si l’on veut gagner la guerre contre la criminalité et l’insurrection au Nigéria, le gouvernement doit également élaborer une politique de parité des grades entre les deux organisations.

    Nigerian Flag

    Source: pixabay.com

    La situation sécuritaire au Nigéria

    La nécessité d’une société plus sûre est devenue le premier devoir du gouvernement et de l’appareil de sécurité du Nigéria face à l’augmentation des menaces à la sécurité et à l’émergence du terrorisme. L’insécurité imprègne toute la nation, freinant la croissance économique[1] et menaçant même l’unité nationale[2]. Le discours sur la sécurité est donc très pertinent, mettant toutes les options sur la table pour s’assurer que la crise est traitée de manière appropriée. À cette fin, la police communautaire contemporaine relève principalement de la responsabilité des forces de police du Nigéria.

    Et le travail des forces de police n’est pas facile : le Nigéria est confronté à de nombreuses crises sécuritaires simultanées. Il s’agit notamment de Boko Haram dans le nord-est du pays, des activités des « bergers tueurs » qui ont touché des États nigérians comme Kaduna et Benue et se sont étendus aux États du sud-ouest comme Oyo et Osun, des enlèvements qui se multiplient dans presque tout le pays et d’autres formes plus courantes de criminalité comme les vols à main armée, etc. La police est donc confrontée à la tâche herculéenne d’assurer une sécurité adéquate des personnes et des biens menacés sur de multiples fronts. Il n’est pas surprenant qu’elle ne puisse pas le faire seule.

    Il s’agit notamment de Boko Haram dans le nord-est du pays, des activités des « bergers tueurs » qui ont touché des États nigérians comme Kaduna et Benue et se sont étendus aux États du sud-ouest comme Oyo et Osun, des enlèvements qui se multiplient dans presque tout le pays et d’autres formes plus courantes de criminalité comme les vols à main armée, etc.

    En raison de l’insécurité apparemment croissante au Nigéria, le travail de la police a été étendu à d’autres appareils de sécurité du gouvernement, comme l’armée, la marine, le corps de sécurité et de défense civile du Nigéria et, dans certains cas, la Civilian Joint Task Force (JTF civile) et d’autres groupes d’autodéfense. Pour faciliter une coopération efficace, les États du pays ont inauguré des forces opérationnelles conjointes de la police, de l’armée et du corps de défense civile. Dans les lieux où les attaques terroristes se multiplient, les gouvernements régionaux ont également engagé des chasseurs ou des groupes d’autodéfense locaux pour renforcer la sécurité de leurs États et, en définitive, protéger la vie des citoyens. Ces unités opérationnelles conjointes ont pris différents noms de code, comme l’opération MESA à Lagos, l’opération Burst à Oyo, l’équipe d’intervention rapide dans l’État d’Ogun et l’opération Yaki à Kaduna. Ces efforts de coopération renforcent l’interdépendance et l’interrelation des institutions de sécurité nigérianes. Cependant, les conflits qui surviennent souvent entre le personnel des différentes organisations de sécurité coopérantes menacent l’efficacité du travail de ces unités opérationnelles.

    Les affrontements incessants entre la police et l’armée restent énigmatiques malgré tous les efforts des différentes parties prenantes pour proposer une solution permanente à ces crises. Ce conflit inter-institutionnel permanent contribue de manière contre-productive aux problèmes de sécurité auxquels le pays est confronté, car les frères d’armes adoptent des comportements suspects et ne se font pas confiance. La relation entre la police et l’armée dans le pays a été décrite comme la relation d’un chat et d’une souris, suggérant une bataille de diabolisation et de subordination entre la police et l’armée[3]. Cette étude examine donc les raisons sous-jacentes des affrontements entre la police et l’armée au Nigéria, et vise à promouvoir une relation plus efficace et, par extension, à garantir une société plus sûre au Nigéria.

    Les affrontements entre la police et l’armée en rétrospective

    Tableau 1: Liste d’incidents entre militaires et policiers au Nigéria[4]

    Tableau 1: Liste d’incidents entre militaires et policiers au Nigéria[4]

    Le tableau ci-dessus offre un regard rétrospectif sur la couverture médiatique des affrontements entre la police et l’armée nigérianes entre 2010-2018:

    Les affrontements entre les officiers de la police et de l’armée nigérianes sont souvent totalement inexplicables dans le feu de l’action et peuvent provoquer la panique au sein de la société. Par exemple, des citoyens vaquant à leurs occupations ont été mis en émoi lorsqu’une bagarre a éclaté entre un policier et un soldat, ce qui a poussé les gens à se mettre à l’abri[5]. Souvent, les catalyseurs de ces affrontements peuvent être aussi simples qu’un désaccord ou un malentendu résultant du chevauchement des fonctions de ces institutions dans la société. Cependant, à y regarder de plus près, cette menace apparemment insondable pourrait en fait être un héritage de la colonisation et des années d’autocratie ayant suivi l’indépendance.

    La perspective du conflit selon Dahrendorf

    La perspective de conflit du sociologue germano-britannique Dahrendorf montre comment les relations dans la société sont déterminées non seulement par le déterminisme économique, mais aussi par l’équilibre du pouvoir entre les différents groupes de la société. Selon lui, le conflit sociétal est fondé sur l’autorité, ce qui entraîne une lutte permanente entre les groupes dominants et les groupes subordonnés de la société – un facteur qui pourrait expliquer les affrontements incessants entre la police et l’armée au Nigéria. Le conflit actuel entre les deux entités est le produit de la lutte pour l’autorité et la domination de l’une sur l’autre. L’exposition des militaires à la position d’autorité au Nigéria leur a donné un sentiment de supériorité[6]. Comme l’indique Alemika, le régime militaire au Nigéria a eu un effet négatif prolongé sur les fonctions et les opérations de la police. La période de régime militaire entre 1966 et 1999 a vu l’appauvrissement progressif des effectifs et de l’arsenal de la police jusqu’à ce que l’institution policière soit effectivement reléguée au plus bas dans l’architecture de sécurité du pays. Le retour à la démocratie en 1999 a marqué le retour de la police comme symbole de l’autorité civile dans le pays. Cependant, la nouvelle dynamique du pouvoir a accru la rivalité entre ces deux entités.

    Le conflit actuel entre les deux entités est le produit de la lutte pour l’autorité et la domination de l’une sur l’autre. L’exposition des militaires à la position d’autorité au Nigéria leur a donné un sentiment de supériorité.

    La théorie de Dahrendorf suggère que la lutte pour la domination est au cœur du conflit dans la société nigériane, comme l’illustre la relation entre la police et l’armée nigérianes dans l’exercice de leurs fonctions constitutionnelles. La relation entre la police et l’armée n’a pas vraiment changé pendant la période postérieure au régime militaire au Nigéria, comme le montre souvent le rapport professionnel dont le grand public a été témoin. Le cas d’un kidnappeur notoire, Wadume[7], est parfaitement adapté, montrant l’incroyable rivalité entre ces institutions sœurs.

    Les probands de l’étude

    Les auteurs ont mené une étude pour explorer en profondeur la dynamique du pouvoir et les affrontements sécuritaires entre l’armée nigériane et la police nigériane. L’étude a adopté une méthode mixte simultanée dans le but d’obtenir des informations significatives et approfondies des participants. Cette conception, sans préférence, est une combinaison d’orientations qualitatives et quantitatives complémentaires. Au total, 157 membres de l’armée et de la police nigérianes ont participé à l’étude.

    L’étude a adopté une méthode mixte simultanée dans le but d’obtenir des informations significatives et approfondies des participants. Cette conception, sans préférence, est une combinaison d’orientations qualitatives et quantitatives complémentaires.

    L’étude a été menée en utilisant la technique d’échantillonnage raisonné. La technique d’échantillonnage raisonné, en tant que technique d’échantillonnage non probabiliste, est essentielle à l’étude d’un groupe censé être bien informé sur le sujet d’intérêt. Pour le questionnement, l’étude a utilisé un questionnaire ouvert pour obtenir des informations des participants à l’étude, et un guide d’entretien ouvert a été utilisé pour l’entretien en profondeur. La procédure d’analyse a suivi la méthode mixte adoptée par l’étude. Une analyse descriptive simple a été utilisée pour le volet quantitatif de l’étude, tandis que l’analyse de contenu a été utilisée pour compléter les informations obtenues dans le volet quantitatif de l’étude. Sur le plan éthique, l’étude a reçu l’approbation des autorités de la police et de l’armée nigérianes pour sa réalisation. La participation à l’étude a été sous le couvert de l’anonymat.

    Tableau 2: Variables socio-démographiques des participants

    Tableau 2: Variables socio-démographiques des participants

    Le tableau ci-dessus montre la répartition socio-démographique en pourcentage des répondants qui ont participé à l’étude. L’étude a montré que la majorité des répondants étaient âgés de 25 à 31 ans.

    Afin de faciliter une meilleure relation entre la police et l’armée au Nigéria, l’étude visait à découvrir les raisons possibles des affrontements incessants entre les deux institutions. L’étude a utilisé le respect mutuel, le mode de formation, les luttes de pouvoir et la promotion pour mesurer les raisons possibles de ces affrontements. En ce qui concerne les causes des affrontements, 57,3 % des participants pensent qu’il n’y a pas de respect mutuel entre les policiers et les soldats, la plupart de ces répondants affirmant que la raison possible de ce manque de respect est la lutte pour la suprématie entre les deux institutions.

    La majorité des participants ont également souligné le rôle de la formation comme cause possible de conflit. La majorité des participants à l’étude ont affirmé que les formations du personnel des deux institutions étaient différentes et distinctes et qu’elles étaient donc un catalyseur du conflit inter-institutionnel. Ils ont affirmé que les policiers sont exposés à une formation entièrement différente de la formation militaire, ce qui affecte l’image que chacune des institutions a de l’autre. En fin de compte, cette différence influence la relation « supérieur-inférieur » qui se joue actuellement entre ces institutions.

    La majorité des participants à l’étude ont affirmé que les formations du personnel des deux institutions étaient différentes et distinctes et qu’elles étaient donc un catalyseur du conflit inter-institutionnel. Ils ont affirmé que les policiers sont exposés à une formation entièrement différente de la formation militaire, ce qui affecte l’image que chacune des institutions a de l’autre.

    Lorsqu’on les interroge sur les problèmes de lutte pour le pouvoir, 35% des personnes interrogées pensent que les affrontements sont toujours dus à une lutte pour le pouvoir entre elles. Tout en considérant le chevauchement de leurs responsabilités et l’abus de pouvoir, 52,7% de ceux qui ont affirmé que le conflit de pouvoir est responsable du conflit ont affirmé que la question de la supériorité en est la cause principale.

    Certaines des personnes interrogées ont souligné que le manque d’ouverture d’esprit de la part du personnel de l’armée et de la police nigérianes contribue souvent à l’impasse entre ces institutions. Une personne interrogée a affirmé que la nature de l’insécurité dans le pays a justifié la création par le gouvernement d’opérations conjointes entre les différentes institutions de sécurité gouvernementales pour faire face aux crises de sécurité dans le pays. Toutefois, cela ne devrait pas nécessairement faire des forces de police des subordonnés de l’armée nigériane. Il est intéressant de noter que l’un des participants interrogés a affirmé que l’architecture de sécurité du Nigéria contribue à la crise en ne donnant pas de fonctions qui se chevauchent à ces institutions. Certains de leurs points de vue sont présentés ci-dessous:

    « En un mot, l’indiscipline et, pour aller plus loin, c’est le résultat de l’insouciance que nous avons dans le système nigérian en général. S’il y a une discipline et qu’elle est suivie à la lettre, nous ne devrions pas avoir de crises de ce genre, car en premier lieu, ils sont censés travailler ensemble pour le bien de la société dans son ensemble. En ce qui concerne l’insouciance, je dirais encore une fois que c’est une culture de l’impunité à laquelle nous sommes habitués au Nigéria. La perception erronée de la supériorité des militaires sur les policiers leur prend la tête et les incite à mal se comporter. En outre, les fonctionnaires de police font un usage excessif du pouvoir. Si la discipline est présente, par exemple, un soldat ne doit pas frapper un policier, même en présence de la loi, il doit en référer à son supérieur. De même, le policier doit savoir qu’il ne doit pas agresser qui que ce soit et encore moins un collègue agent de sécurité. » (Juriste)

    « C’est le résultat de l’ego personnel entre les jeunes gradés. Je ne pense pas que cela doive miner la relation entre les deux organisations. Parce que si cela avait miné l’organisation qu’ils représentent, nous n’aurions pas de bonnes relations avec la direction de l’autre organisation. Donc, la relation de travail a été très cordiale ». (Officier supérieur de police 2)

    Les participants à cette étude qui ont été interrogés ont exprimé des sentiments mitigés concernant la cause des affrontements entre la police et l’armée. Il est important de mentionner qu’il ne semble pas y avoir d’explication absolue à ces événements tragiques, bien que les participants aient pointé du doigt le manque de discipline et la lutte pour la supériorité comme un facteur critique contribuant à la crise entre la police et l’armée.

    Dispositions constitutionnelles pour la collaboration entre la police et l’armée

    En plus d’examiner la cause profonde du conflit inter-institutionnel, l’étude a cherché à comprendre la perception des participants sur les dispositions constitutionnelles relatives à la collaboration entre la police et l’armée. Cette question est devenue très importante compte tenu du fait que la Constitution de la République fédérale du Nigéria définit clairement que l’armée sera principalement utilisée pour faire face aux agressions extérieures et pour réprimer les insurrections, la Constitution prévoit également que la police maintiendra la paix et l’ordre sur le territoire nigérian. Le/la Président(e) est également habilité(e) par la Constitution à confier aux militaires d’autres missions qu’il/elle juge nécessaires, même à l’intérieur du pays. C’est sur cette base qu’a été posée la question visant à déterminer la compréhension du personnel de ces institutions concernant la collaboration opérationnelle.

    La grande majorité des personnes interrogées pensent qu’il est juste que la police et l’armée collaborent pour renforcer la sécurité dans le pays. De même, 84,7% des répondants ont affirmé que la collaboration entre la police et l’armée est constitutionnelle. Seul un maigre 15,3 % des personnes interrogées pensent que la Constitution du Nigéria ne prévoit pas de collaboration entre l’armée et la police.

    En outre, l’étude a demandé s’il existait une prise de conscience adéquate quant à la meilleure façon de collaborer. En réponse à cette question, 74,5% des participants pensent que les hommes et les officiers des institutions sont suffisamment sensibilisés. En comparaison, 25,5% des personnes interrogées étaient également d’avis qu’il n’y avait pas de sensibilisation adéquate des agents et des hommes aux dispositions de la Constitution en matière de collaboration. 66% des personnes interrogées pensent qu’il faut clarifier les choses pour que les officiers prennent conscience de la nécessité d’une collaboration entre les institutions.

    De même, les personnes interrogées dans le cadre de cette étude ont été invitées à donner leur avis sur le rôle de la constitution de la République fédérale du Nigéria dans les efforts de collaboration des institutions de sécurité du pays. Certains participants pensent que la constitution est suffisamment explicite pour créer un groupe opérationnel conjoint afin de maintenir la paix et l’ordre dans la société. Certains participants ont fait valoir que la constitution donne la capacité de prérogative au Président, ce qui a conduit à la création de diverses initiatives de groupes opérationnels conjoints à travers le pays. Cet arrangement constitutionnel ne relègue pas et ne devrait pas reléguer l’effort et la capacité de la force de police nigériane à ce qui pourrait être décrit comme un « second rôle », « inférieur » ou « incapable ». Certaines opinions des répondants sont présentées ci-dessous:

    « Je ne pense pas qu’il y ait un problème à ce sujet. Je pense que, qu’il s’agisse d’un édit ou de la loi, une fois stipulé(e), le personnel doit simplement s’adapter à une telle disposition. Je pense que la police doit diriger parce que nous savons comment lutter au mieux contre la criminalité et cela ne peut pas créer de fossé entre les soldats et les policiers. » (2PPRO_M_P)

    « Je ne suis absolument pas d’accord avec le fait que la Constitution de la République fédérale contribue de quelque manière que ce soit à cette menace, car la Constitution de tout pays doit tenir compte de cette situation. Nous avons le ‘Nigeria Police Act’ qui définit clairement le rôle de la police, qui est de maintenir l’autorité civile, et l’armée a son propre rôle dans la constitution. » (P3_E_Oyo)

    Les personnes interrogées dans le cadre de cette étude ont également été invitées à donner leur avis sur les méthodes les plus appropriées que le gouvernement peut employer pour résoudre ces conflits inter-institutionnels. Les répondants ont souligné que la responsabilité d’assurer la conformité légale et constitutionnelle entre ces institutions incombe au gouvernement. Il a été suggéré que le gouvernement établisse intentionnellement une synergie stratégique et objective entre la police et l’armée pour réprimer les affrontements incessants – une question d’urgence en raison de l’accroissement sans précédent de l’insécurité dans le pays. Une solution possible au problème résiderait dans les efforts de collaboration du pays.

    Discussion

    Les résultats de cette étude confirment l’affirmation de Ralf Dahrendorf selon laquelle les conflits sont principalement basés sur une lutte pour l’autorité ou le pouvoir. Cette affirmation est vraie si l’on considère les opérations de la police et de l’armée nigérianes, car elles doivent toutes deux travailler ensemble malgré les affrontements incessants qui se produisent entre elles. Cette étude affirme également que la relation entre la police et l’armée au Nigéria est une relation de type « chat et souris « [8]. La police et l’armée sont constamment dans une relation entourée de suspicion où elles se détestent mais sont obligées de travailler ensemble.

    Cette affirmation est vraie si l’on considère les opérations de la police et de l’armée nigérianes, car elles doivent toutes deux travailler ensemble malgré les affrontements incessants qui se produisent entre elles.

    De même, l’étude a révélé que la question de la supériorité joue également un rôle essentiel dans le passé. Les membres du personnel des deux agences s’affrontent parfois en raison de leurs grades, certains faisant référence à la structure hiérarchique de l’institution à laquelle ils appartiennent. Cela a causé des difficultés indicibles non seulement aux personnels de leur institution, mais aussi à d’innocents citoyens que ces hommes et ces femmes ont juré de protéger au péril de leur vie.

    Même sans l’intention de découvrir des incohérences dans les déclarations du personnel, l’étude a trouvé un taux élevé de déni. Cela pourrait être une tentative de certains participants à l’étude de projeter positivement l’image des institutions. Malgré l’évidence, certains membres du personnel des deux organisations ne croient pas qu’il y ait un conflit entre la police et l’armée, et ils ne sont donc pas prêts à admettre qu’il s’agit d’un problème qui nécessite une attention urgente. Ce déni maintient la menace toute vive car aucune mesure ne peut être prise pour résoudre ce problème si les acteurs clés n’acceptent pas la réalité.

    Recommandations

    On ne saurait trop insister sur la nécessité d’une relation efficace entre la police et l’armée, compte tenu des divers défis auxquels le pays est confronté ces derniers temps. Bien qu’il existe une possibilité d’harmonisation forte entre les deux institutions, des mesures clés doivent être prises pour aider à réaliser cet exploit louable, qui contribuera à faire progresser l’infrastructure de sécurité du pays. Certaines de ces étapes sont les suivantes :

    • Le respect mutuel : La question du respect mutuel est essentielle pour établir une relation efficace entre la police et l’armée. Cette étude révèle qu’une partie des frictions inter-institutionnelles est due à un manque de respect mutuel des personnels. Cela implique la reconnaissance du statut d’officier supérieur par les deux institutions. De même, la question du respect mutuel implique que les officiers de l’institution rendent le salut de manière adéquate et attendue. De nombreux affrontements entre les officiers de la police et de l’armée nigériane résultent d’un manque de respect mutuel entre eux. Cela signifie que ces affrontements pourraient être évités si la reconnaissance l’équivalence des grades était effective entre la police et l’armée.
    • Relation de pré-collaboration: Il est important de répéter à ce stade que la collaboration entre la police et l’armée est plausible, mais qu’elle serait grandement améliorée par l’établissement d’une relation de pré-collaboration entre les deux institutions. Cette relation de pré-collaboration pourrait prendre la forme d’un niveau de formation conjointe, notamment dans le domaine civil, afin de créer un lien entre les officiers représentant les deux institutions. De plus, les autorités des institutions devraient proposer des stratégies réalisables et concrètes qui pourraient aider à créer la synergie nécessaire entre la police et l’armée pour combattre l’ennemi commun: la criminalité dans le pays.


    Olaniyi Olumayowa: ses recherches portent sur les domaines du maintien de l’ordre public et de la sécurité publique. Sociologue formé à l’Université Obafemi Awolowo, il a développé un intérêt particulier pour le domaine de la criminologie.

    Lanre Ikuteyijo a suivi une formation de sociologue et d’anthropologue avec une spécialisation en criminologie et en recherche sociale à l’Université Obafemi Awolowo d’Ilé-Ifè. Il a obtenu plusieurs bourses dans d’autres universités en Afrique et ailleurs, notamment à l’université de Stellenbosch, en Afrique du Sud, et à l’université Brown, aux États-Unis. Ses publications actuelles incluent Social Dynamics of Prison Philosophies in Nigéria, publié par Cambridge Publishers, UK; The Challenges of Community Policing in Nigéria, publié par Sage Publishers, UK; entre autres. Le Dr Ikuteyijo est membre expérimenté du corps professoral de l’Université Obafemi Awolowo.


    [1] I.C. Achumba, O. S. Ighomereho and M. O. M. Akpor-Robaro, “Security Challenges in Nigeria and the Implications for Business Activities and Sustainable Development,” Journal of Economics and Sustainable Development 4, no. 2 (2013): 1700-2222.

    [2] Olabanji Olukayode Ewetan and Ese Urhie, “Insecurity and Socio-economic Development in Nigeria,” Journal of Economics and Sustainable Development 5, no. 1 (2014): 40-63.

    [3] Bayo Olupohunda, “Confessions of a Soldier: Why We Hate the Police,” Naijalog, January 23, 2014, https://doi.org/10.1111/j.1467-8330.2008.00613.x.

    [4] References: Gwendoly Njoku, “Wadume: Police Narrate How Billionaire Kidnap Kingpin Was Rearrested,” Daily Post, August 20, 2019; Ojo Damisi, “Soldiers and Police clash in Ondo,” The Nation Newspaper, December 12, 2017; Osagie Otabor, “15 injured as Army, police clash in Edo,” The Nation Newspaper, August 08, 2015; Bolaji Ogundele, “Many injured as police, air force personnel clash,” The Nation Newspaper, July 18, 2017, http://thenationonlineng.net/many-injured-police-air-force-personnel-clash/; J. Isiquzo & M. Ekene-Okoro, “Two Dead, Five Injured in Police, Civil Defence Clash,” The Nation Newspaper, March 28, 2013, http://thenationonlineng.net/two-dead-five-injured-in-police-civil-defence-clash/; AFP, “Four Dead in Army, Police Clashes in Yobe,” Guardian Newspaper, April 13, 2017, https://guardian.ng/news/four-dead-in-army-police-clashes-in-northeastern-nigeria/; Tony Akowe, “Army, Police Probe Clash of their Men in Ibadan,” The Nation Newspaper, April 13, 2013, http://thenationonlineng.net/soldiers-police-clash-ondo/; Prince Okafor, “Navy, Policemen Clash in Lagos over Tankers’ Movement,” Vanguard Newspaper, May 09, 2018, https://www.vanguardngr.com/2018/05/navy-policemen-clash-lagos-tankers-movement/; Emma Nnadozie & Evelyn Usman, “Bloody Clash Averted as Soldiers Invade Lagos Police Station,” Vanguard Newspaper, March 22, 2017, https://www.vanguardngr.com/2017/03/bloody-clash-averted-soldiers-invade-lagos-police-station/; Josiah Oluwole, “Pandemonium as Soldiers, Police Clash in Ekiti,” Times, December 30, 2017, https://www.premiumtimesng.com/news/headlines/253970-pandemonium-soldiers-police-clash-ekiti.html; Olasunkanmi Akoni, “Soldiers, Police in Fresh Clash in Lagos,” Vanguard Newspaper, June 24, 2011, https://www.vanguardngr.com/2011/06/soldiers-police-in-fresh-clash-in-lagos/; Simon Ebegbulem, “5 Killed as Soldiers, MOPOL Clash in Benin,” Vanguard, March 12, 2010 and Vanguard, “Police/Army clash: Why Espirit de Corps Must Not Go on Exile,” Vanguard Newspaper, June 08, 2011, https://www.vanguardngr.com/2011/06/policearmy-clashwhy-espirit-de-corps-must-not-go-on-exile/.

    [5] https://theeagleonline.com.ng/ebonyi-pandemonium-as-soldiers-policemen-clash-over-impounded-tricycle/.

    [6] Etannibi E. O. Alemika, “History, Context and Crisis of the Police in Nigeria,” Repositioning the Nigeria Police to Meet the Challenges of Policing a Democratic Society in the Twenty-First Century and Beyond (November 11, 2010): 1-19.

    [7] https://www.africanews.com/2019/08/09/nigeria-police-demands-justice-after-deadly-clash-with-soldiers/.

    [8] Olupohunda, “Confessions,” Naijalog, January 23, 2014.

  • Comprendre le Terrorisme en Afrique de L’Ouest

    Comprendre le Terrorisme en Afrique de L’Ouest

    Traduit par Abdel-Aziz S. Ali Orou [coach.ali.translator@gmail.com]

    Résumé: Il est louable que les pays ouest-africains se soient résolus à prendre le taureau par les cornes dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. La détermination des leaders de la sous-région à financer à hauteur d’un milliard de dollars US leurs efforts d’endiguement des audacieuses attaques en constante croissance dans la zone est sans précédent. Le plus intriguant encore reste la priorité donnée à la cause au cœur d’un stress économique déclenché par une pandémie des plus actives. Le terrorisme international sévit dans la région et tous les outils, le renseignement, l’économie, le social, la politique et l’armée, doivent être mis à contribution pour en éteindre les flammes.

    L’essentiel du message: Dans la lutte contre ce fléau, il importe toutefois que les acteurs nationaux et régionaux en première ligne comprennent le terroriste. Oui, tout acteur de la sécurité peut prétendre détenir une connaissance de ce qu’est le terrorisme – grâce à Ben Laden – mais ceux qui se trouvent en position de décideurs de stratégies de lutte se doivent d’avoir une meilleure compréhension du terrorisme et du terrorisme international. Le terrorisme va au-delà des attentats du 11 septembre 2001, puisqu’il peut y avoir des différences dans les objectifs politiques, la motivation, le champ d’action, le mode de recrutement, le parrainage et la structure organisationnelle. Au niveau religieux, il existe des différences sectaires dans les interprétations qui influencent les activités terroristes.

    Problématique: Comment utiliser la compréhension des dynamiques du terrorisme sous-régional pour transformer la connaissance en dispositions proactives et préventives dans la lutte contre la menace terroriste ?

    Que faut-il retenir?: Les responsables de la sécurité sous-régionale et les leaders politiques peuvent prendre acte de la complexité du problème à résoudre et ne pas consacrer une importante part des milliards de dollars à la militarisation du conflit. Ceci exige l’investissement dans le développement socio-économique centré sur l’humain. Mieux, les gouvernements se doivent d’impliquer les experts en terrorisme qui comprennent le mieux l’aspect psychologique des activités terroristes à l’occasion de leurs échanges avec les principaux responsables de la sécurité.

    Globe of Terrorism, War, Conflict

    Source: shutterstock.com/Vector FX

    Terrorisme régional et diversité mondiale

    La plupart de systèmes de sécurité de la région de l’Afrique de l’Ouest et les stratégies adoptées par ces nations après l’indépendance ont principalement porté sur la stabilité intérieure et, dans une certaine mesure, sur la sauvegarde de l’intégrité territoriale de leurs États respectifs. La présence du terrorisme a menacé ces obligations traditionnelles en matière de sécurité. La situation exige en définitive une approche différente en matière de stratégie. Cela signifie qu’il faut comprendre qui sont les terroristes, savoir comment ils opèrent, comprendre leurs mécanismes de défaite et adopter les stratégies qui ont fonctionné dans différentes situations dans le monde pour les combattre.

    De nombreuses actions menées par des acteurs malintentionnés peuvent être qualifiées de terrorisme. Qu’il s’agisse de cambriolages de voisinage, de vols à main armée qui tournent aux drames sanglants ou d’attaques ciblées d’opposants politiques, la région connaît un certain degré de violence. Il est donc tentant de confondre une action à une autre lorsqu’on entreprend d’identifier ce qui constitue le terrorisme tel qu’il est discuté ici. C’est pour cette raison que le terrorisme international a souvent besoin d’être défini. Il est vrai que beaucoup de gens, sans risque de confusion, peuvent facilement déchiffrer un vol à main armée d’un attentat suicide. Cependant, si nous nous penchons sur le sujet du terrorisme international, la nécessité de définir et de différencier les types de terrorisme est en soi importante dans la lutte contre celui-ci.

    Il est vrai que beaucoup de gens, sans risque de confusion, peuvent facilement déchiffrer un vol à main armée d’un attentat suicide.

    Pour commencer, Boko Haram n’est pas une organisation terroriste internationale typique. C’est une déclaration assez radicale, il faut le reconnaître. La définition récente du terrorisme international, en tant que concept, a été fortement influencée par les attentats du 11 septembre 2001 et les événements subséquents[1]. Lorsqu’un groupe d’acteurs non étatiques, pour la plupart de nationalités différentes, souvent difficilement localisables et généralement décentralisés, planifie et mène des attaques contre des intérêts étatiques à des fins religieuses, idéologiques et de propagande, on peut parler de terrorisme international. On sait que des citoyens de différentes nationalités ont contribué à des degrés divers à l’attentat du 11 septembre 2001. Si Ben Laden était un Saoudien connu aux racines yéménites, son adjoint, Zawahiri, et Mohammed Atta, le commandant de l’opération, étaient égyptiens.

    La définition du terrorisme international donnée par les Nations Unies en 2005, malgré sa connotation de type « 11 septembre 2001 », aide à catégoriser les différents types de terrorisme. Malheureusement, la sous-région compte différents types d’organisations terroristes opérant à l’intérieur des frontières de plusieurs États membres. Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), puis la filiale d’ISIS dans la région, sont les organisations terroristes internationales qui opèrent dans la sous-région. Elles sont composées de différentes nationalités et planifient des attaques à travers les États. D’autre part, Boko Haram est une organisation terroriste ayant des aspirations géopolitiques. Le groupe veut former un État basé sur son interprétation des doctrines religieuses dans le nord du Nigeria. À des fins opérationnelles, le groupe a fait connaître sa présence dans trois autres États, le Cameroun, le Tchad et le Niger, adoptant ainsi une perspective « internationale ». Néanmoins, Boko Haram n’est pas Al-Qaïda ni sa version miniature. Il s’agit, au mieux, d’une organisation terroriste régionale. En fait, lorsque Boko Haram a prêté allégeance à ISIS, cela n’a pu durer qu’un temps, car les deux groupes ont des objectifs différents et des moyens différents pour les atteindre.

    Diversité des motivations

    Les récentes attaques en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso sont une expression de ce que le terrorisme international représente. Les attaques contre les intérêts occidentaux, en particulier les cibles françaises dans ces pays, ne visent pas nécessairement à construire des entités politiques territoriales, mais à frapper leurs ennemis supposés là où ça fait mal[2]. Les terroristes pensent que la meilleure façon de riposter à « l’incursion » occidentale dans leurs refuges du Maghreb et du Sahel est d’attaquer leurs intérêts économiques et politiques dans des endroits éloignés de la région. Tout comme Oussama ben Laden a décidé qu’un attentat à New York devait être une riposte à la « profanation » par l’Occident des terres saintes de l’Islam – une position que de nombreux musulmans modérés ne partagent pas.

    Les terroristes pensent que la meilleure façon de riposter à « l’incursion » occidentale dans leurs refuges du Maghreb et du Sahel est d’attaquer leurs intérêts économiques et politiques dans des endroits éloignés de la région.

    La raison pour laquelle les terroristes internationaux du Sahel et du Maghreb considèrent la région comme leur foyer est essentielle pour comprendre et trouver des remèdes au terrorisme dans la sous-région. Historiquement, la région a connu une domination islamique remontant à l’Empire Songhaï, à celui du Mali et bien au-delà[3]. Pour les terroristes panislamiques, toute incursion occidentale sur le territoire est donc une attaque aux frontières de l’islamisme. Il existe un mouvement idéologique de certains groupes visant à mettre en œuvre la forme la plus stricte de l’islam dans la région afin de parvenir à une certaine renaissance puritaine, et la présence de l’Occident est considérée comme une antithèse à cela[4]. L’islam puritain peut en outre avoir pour but, intentionnel ou non, d’être utilisé comme un rempart contre l’influence des populations chrétiennes plus riches du sud ou de la côte de la sous-région. Le Ghana fait partie des États côtiers dominés par les chrétiens, bien que l’intérêt de la France y soit limité.

    Le terrorisme international doit également être distingué du séparatisme. Cette affirmation peut sembler superflue à première vue, car il est beaucoup plus facile de faire la différence entre, par exemple, les séparatistes du Biafra et les terroristes de Boko Haram. Cependant, lorsque nous trouvons des groupes séparatistes et des organisations terroristes sur les mêmes territoires ou sur des territoires qui se chevauchent, faire la distinction devient pertinent pour gagner le combat. Il y a quelques années, la présence d’Al-Qaïda et d’autres organisations terroristes était souvent confondue avec la rébellion Touareg au Sahel, en particulier au Mali. Il se peut que ces deux groupes très distincts aient coopéré pour combattre un « ennemi commun » – les forces gouvernementales dans la région – mais ils n’ont jamais été les mêmes[5].

    La reconnaissance de ce fait rendra la lutte contre le terrorisme relativement plus facile pour les décideurs politiques en charge de la mission. Il serait dans leur intérêt de connaître les rebelles politiques et les séparatistes, de les engager par le dialogue et l’instauration de la confiance plutôt que de les combattre comme s’ils étaient des terroristes. L’engagement avec les séparatistes et les rebelles les dissuade de partager des aspirations avec les extrémistes. Lorsqu’ils sont confrontés à un antagonisme insupportable de la part des forces régionales et des acteurs étatiques, les Touaregs – étant essentiellement de foi musulmane – chercheront plus probablement une alliance et un répit avec les terroristes. Les stratèges de la région doivent examiner cet aspect de manière plus critique. Au milieu des années 2000, lorsque l’insurrection a fait des victimes parmi les forces américaines en Irak, la superpuissance mondiale a reconnu la nécessité de séparer les adhérents sunnites mécontents des terroristes d’Al-Qaïda. L’effort d’engagement et de renforcement de la confiance qui a suivi a permis de réduire considérablement les attaques contre les forces américaines dans le pays.

    Transformer la compréhension en solutions

    Les activités des ethnies nomades et des bouviers dans la sous-région ont été mises en avant ces derniers temps chaque fois qu’il était question de potentiel d’instabilité. Les responsables de la sécurité dans la région doivent se pencher sur ce problème de toute urgence, car s’il est ignoré, il pourrait profiter aux terroristes. Les nomades de la sous-région, comme les séparatistes Touaregs, sont généralement favorables à l’État islamique. Grâce à leur mobilité naturelle dans la région, les groupes nomades peuvent se voir offrir une protection en échange de leur soutien et de leur acceptation des enseignements religieux extrémistes. Les raisons des affrontements incessants entre les éleveurs et agriculteurs sédentaires sont multiples. Elles vont du changement climatique à la xénophobie, et il incombe aux responsables politiques de traiter le problème avec tact au niveau intergouvernemental en raison de son aspect transnational. Les extrémistes religieux peuvent armer ces groupes dans le cadre de la mise en œuvre de leur propre stratégie. Ils peuvent également constituer une cible facile pour recruter de jeunes de la sous-région dans leurs rangs. Avec leur connaissance du terrain, cela pourrait être dévastateur si ce n’est déjà le cas. Dans la lutte contre le terrorisme, les forces conventionnelles et les décideurs politiques doivent se faire plus d’amis que d’ennemis – les groupes nomades devraient faire partie de ces amis.[6]

    Un point plus controversé mais très important est que les terroristes tels que nous les connaissons dans la sous-région prônent le puritanisme religieux. Cependant, tous les puritains religieux ne sont pas des terroristes, ne veulent pas être des terroristes ou même ne soutiennent pas le terrorisme. Les agents de sécurité sur le terrain et aux frontières de la guerre peuvent en tenir compte et modifier les indicateurs dans leur analyse des renseignements recueillis. Par exemple, les enseignements religieux insistant sur le port du hijab par les femmes peuvent être qualifiés de puritains. Toutefois, tant que le prédicateur ne recommandera pas que quiconque a le droit de faire du mal à ceux qui défient ces enseignements, ces derniers ne devraient pas conduire à une réaction excessive des acteurs de la sécurité de l’État. La plupart du temps, ce que l’on qualifie de radicalisation relève plutôt du conservatisme. Par exemple, le refus des autorités saoudiennes d’autoriser les femmes à conduire, au fil des ans et jusqu’à récemment, n’a pas été considéré comme une politique radicale. Les méthodes de recrutement sophistiquées développées par les organisations terroristes tirent souvent parti des erreurs commises par les forces de sécurité et les agents de renseignement en quête de sympathie. Toute fausse arrestation ou tout assassinat fondé sur ce qui peut être pris pour des déclarations en faveur du terrorisme augmente les chances que le terroriste gagne le cœur des personnes mécontentes de ces actions. Les renseignements sur les prédicateurs religieux ayant une interprétation extrême des livres saints, s’ils méritent d’être observés, ne doivent pas conduire à des réactions excessives[7]. Comme pour tout autre système, il existe des spectres qui représentent la mesure de l’engagement des individus. Récemment, en Europe, de nombreux mouvements et partis d’extrême droite ont coexisté pacifiquement dans leurs communautés sans être intimidés par les agents de sécurité[8]. Tant qu’ils ne choisissent pas la violence comme voie et que les services de sécurité les surveillent, ils sont libres d’exprimer leurs opinions et de poursuivre leurs idéologies, aussi ultraconservatrices soient-elles.

    Les méthodes de recrutement sophistiquées développées par les organisations terroristes tirent souvent parti des erreurs commises par les forces de sécurité et les agents de renseignement en quête de sympathie.

    Certes, l’analogie avec les États-Unis peut sembler assez détachée, car un pays doté de l’un des meilleurs systèmes de sécurité n’est peut-être pas comparable aux pays en difficulté de l’Afrique de l’Ouest. Il est toutefois important de tirer profit du principe qui veut que pour chaque prédicateur radical dans une communauté, il y ait une voix modérée et plus progressiste. La stratégie devrait consister à rechercher les progressistes et à s’engager avec eux comme facteur de neutralisation des radicaux et des extrémistes. Les radicaux eux-mêmes peuvent être approchés si nécessaire. De nombreux pays ont pour position officielle de « ne pas négocier avec les terroristes ». Cependant, il existe également de nombreux cas où ces États ont trouvé des moyens de négocier avec eux pour rapatrier leurs citoyens pris en otage – du moins discrètement[9]. C’est ce qu’on appelle le pragmatisme. Parfois, il est même important d’engager le dialogue avec des radicaux qui n’en sont qu’aux premiers stades de leur comportement militant. Le recours à une force flagrante pour réprimer leurs activités ou les éliminer n’apportera pas une plus-value à la lutte globale. Le Nigéria avec Boko Haram est un exemple classique de ce genre d’erreur de calcul et d’actions sommaires qui se révèlent désastreuses. Jusqu’à ce que son fondateur Mohammed Yusuf soit sommairement exécuté par la police en 2009, Boko Haram aurait pu être décrit comme un groupe d’autodéfense aux convictions religieuses extrêmes. L’exécution de Mohammed Yusuf a littéralement donné l’occasion à ses adeptes de donner des proportions gigantesques à leur cause. Les experts s’accordent à dire que même dans le cas d’organisations terroristes bien établies, il est parfois préférable de maintenir en vie les chefs connus, car les successeurs des chefs tués ont tendance à asseoir leur autorité en multipliant les recrutements, les attaques et la brutalité calculée[10].

    Pas d’issue facile…

    Cela nous conduit à l’horrible vérité. Les terroristes sont sauvages, non conventionnels et brutaux, mais ce sont des acteurs rationnels – en particulier ceux qui occupent des postes de direction. Bien qu’il soit difficile pour certains acteurs étatiques de l’admettre ouvertement, reconnaître ce fait rendra la lutte contre le terrorisme dans la sous-région plus pratique. Le plus souvent, ce que le citoyen ordinaire retient des informations sur le terroriste, c’est qu’il s’agit d’un individu irrationnel qui se suicide avec l’intention d’entraîner d’autres innocents avec lui.

    En réalité, la personne qui meurt est souvent une arme du chef ou du commandant plus rationnel qui contrôle l’attaque. Pendant la planification et l’exécution, ils ont élaboré des directives et même des motifs pour chaque attaque. Le terroriste n’attaque pas à moins que cette action ne serve nécessairement son objectif. Ils ne se lancent pas dans des offensives désordonnées. Les attaques doivent atteindre des objectifs multiples : inspirer la peur, enhardir leurs rangs, susciter la sympathie, attirer le recrutement et être conformes aux principes religieux qu’ils défendent. Il s’agit là d’un mélange complexe dont la réalisation exige des acteurs rationnels. Dans de nombreux cas, les dirigeants d’organisations terroristes ont adouci leur position pour réorienter leurs objectifs. Une telle malléabilité ne peut être le fait que d’acteurs rationnels. Au milieu des années 2000, lorsqu’Al Zarqawi a pris le contrôle de l’Irak sous l’égide d’Al-Qaïda et qu’il a adopté la commission des attentats à la bombe aveugles pour asseoir son autorité, le groupe-souche dirigé par Ben Laden n’en était pas ravi[11]. Plus intéressant encore, de nombreux terroristes ont eu à faire preuve d’un rationalisme plus sophistiqué que bien d’acteurs étatiques de haut rang. Alors que certains États hésitaient à se rencontrer pour niveler leurs différends à la faveur de négociations, les dirigeants des talibans ont décidé de s’asseoir avec les États-Unis à Doha, au Qatar, pour négocier le futur rôle du groupe en Afghanistan et les conditions qui y mèneraient. Cela s’est produit à un moment où ils avaient l’avantage stratégique dans le conflit, et où un retrait imminent des forces américaines leur ouvrait peut-être la voie pour prendre le pouvoir. Il s’agissait manifestement d’une décision qui n’aurait pu émaner que d’une évaluation rationnelle de la situation de guerre par les talibans.

    Alors que certains États hésitaient à se rencontrer pour niveler leurs différends à la faveur de négociations, les dirigeants des talibans ont décidé de s’asseoir avec les États-Unis à Doha, au Qatar, pour négocier le futur rôle du groupe en Afghanistan et les conditions qui y mèneraient.

    Les caractéristiques susmentionnées du terrorisme exigent des tactiques et des stratégies peu orthodoxes. Les chefs de la sécurité sous-régionale et les dirigeants politiques peuvent tenir compte de la nature complexe du problème à résoudre et ne pas dépenser des milliards de dollars pour militariser le conflit. Il faut pour cela investir dans un développement socio-économique axé sur l’humain. Des programmes d’emploi pour les jeunes, la fourniture d’équipements sociaux tels que des installations sanitaires et éducatives. La mise à disposition de facilités de microcrédit pour des groupes ciblés tels que les femmes et les petits exploitants agricoles serait également suffisamment responsabilisante pour contrôler l’influence des groupes terroristes sur les populations locales. En outre, les gouvernements, tout en faisant appel à des responsables de la sécurité traditionnelle, doivent faire appel à des experts en terrorisme qui peuvent mieux comprendre l’aspect psychologique des activités terroristes. En Irak, le général David Petraeus avait avec lui d’autres conseillers qui comprenaient la psyché des insurgés pour l’aider à renverser la situation – ce qu’il a fait à l’époque.

    Avec une meilleure compréhension – censée aller au-delà de cet article – de la sophistication du nouveau défi sécuritaire pour les dirigeants de la sous-région, notre détermination à contribuer à notre sécurité portera des fruits.


    Fidel Amakye Owusu est un analyste en relations internationales possédant environ 6 ans d’expérience dans le domaine. Il s’est intéressé aux questions relatives au terrorisme, aux armes, à la gouvernance et à la sécurité sur la scène mondiale, en particulier dans la sous-région de l’Afrique de l’Ouest. Il a écrit sur ces sujets en tant que chroniqueur pour un certain nombre de sites d’information en ligne au Ghana. Au nombre de ses articles, on peut citer notamment: Why Nations Pay Lip Service to Disarmament I&II, Ghana Stands Tall in the Fight Against Terrorism…, We Risk Having Nuclear Proxies in South Asia, Drone Revolution in Africa… Il a passé cinq (05) ans à travailler au sein du gouvernement ghanéen et est actuellement l’animateur en chef d’une émission consacrée aux relations internationales sur la chaine de télévision nationale. Il est titulaire d’une Licence en sciences politiques et histoire et d’un Master en relations internationales. Les idées exprimées dans cet article et ne représente pas les opinions de son employeur encore moins ceux du traducteur.


    [1] Javier Ruperez, “The United Nations in the Fight against Terrorism” (Research Paper, Counter-Terrorism Committee Executive Directorate), last accessed May 09, 2021, https://www.un.org/sc/ctc/wp-content/uploads/2017/01/2006_01_26_cted_lecture.pdf.

    [2] “Côte d’Ivoire: Extremism and Terrorism,” Report, last accessed May 09, 2021, https://www.counterextremism.com/countries/cote-d-ivoire.

    [3] “The Spread of Islam in West Africa,” Spice Digest, last accessed May 09, 2021, https://fsi-live.s3.us-west-1.amazonaws.com/s3fs-public/Islam.pdf.

    [4] Stephanie Zehnle, Sokoto Jihadism and the Islamic Frontier in West Africa (Kiel: De Gruyter, 2020).

    [5] Gregory A. Smith, “Al-Qaeda in the Lands of the Islamic Maghreb,” Journal of Strategic Security Vol. 2, No. 2 (May 2009: 53-72.

    [6] Roel Meijer and Paul Aarts, “Saudi Arabia Between Conservatism, Accommodation and Reform” (Research Study, Clingendael, 2012).

    [7] John Campbell, “Boko Haram: Origins, Challenges and Responses” (Policy Brief, NOREF, 2014), last accessed May 09, 2021, https://www.files.ethz.ch/isn/184795/5cf0ebc94fb36d66309681cda24664f9.pdf.

    [8] Alasdair Fotheringham, “In the Pandemic, are Europeans more Attracted to the Far Right?” Al Jazeera, February 03, 2021, last accessed May 09, 2021, https://www.aljazeera.com/features/2021/2/3/far-right-europe-pandemic.

    [9] Peter R. Neumann, “Negotiating with Terrorists,” Foreign Affairs, February 2007, last accessed May 09, 2021, https://www.foreignaffairs.com/articles/2007-01-01/negotiating-terrorists.

    [10] The Interpreter, “Does Killing Terrorist Leaders Make Any Difference?” The New York Times, last accessed May 09, 2021, https://www.nytimes.com/2016/08/31/world/middleeast/syria-killing-terrorist-leaders.html.

    [11] Daniel L. Byman and Jennifer R. Williams, “ISIS vs. Al Qaeda: Jihadism’s Global Civil War,” Brookings, February 24, 2015, last accessed May 09, 2021, https://www.brookings.edu/articles/isis-vs-al-qaeda-jihadisms-global-civil-war/.